Le mot du jour franco-autrichien
 


la mayonnaise, une histoire de campagne - de Richelieu à Renaissance

 

Campagne électorale
"La mayennaise ne semble pas prendre" - commente un lecteur à propos des sondages sur les élections européennes. En effet, la candidate du parti présidentiel "Renaissance", largement inconnue du grand public, recule dans les intentions de vote.
Un autre ironise : "
Avec Valérie HAYER, Mayennaise macroniste, la mayonnaise ne prend pas."


"La mayonnaise ne prend pas" signifie que la situation n'évolue pas dans un sens favorable, les choses ne prennent pas une bonne tournure (sich (nicht) zum Guten wenden).
Une Mayennaise est, comme la candidate Renaissance, une habitante du département de la Mayenne (région Pays de la Loire).


Mayonnaise, Mayennaise : est-ce un mauvais jeu de mots basé sur deux paronymes (deux mots qui se ressemblent par leur prononciation et / ou leur orthographe) ou bien ces deux termes ont-ils une parenté étymologique ?
Il faudrait d'abord déterminer l'origine du nom de la mayonnaise, et elle est assez controversée.


Campagne de la Guerre de Crimée à Sébastopol

L'une des hypothèses se réfère au général français Patrice de Mac-Mahon (1808-1893) qui aurait découvert cette sauce froide - une émulsion d'huile et de jaune d’œuf - grâce à son aide de camp, originaire de la Mayenne, et aurait créé un mot-valise associant son propre nom "Mahon" et et celui du département : c'est ainsi que la mahonnaise mayennaise serait devenue la "mayonnaise". (1)
Cette explication est d'autant plus contestable que le mot est attesté dès 1806, au début du 1er Empire, avec la locution "saumon à la mayonnaise" (in Viard, "Le Cuisinier impérial").


Selon une autre hypothèse, c'est de la ville de
Bayonne que viendrait la "bayonnaise", mot qui se serait peu à peu transformé en "mayonnaise". Ce n'est, paraît-il, pas encore la bonne explication. Mais, géographiquement, on se rapproche de l'origine de cette sauce.


Campagne de la Guerre de Sept ans à Minorque
L'explication la plus communément admise quant à l'origine de la mayonnaise se réfère à la victoire du duc de Richelieu (arrière-petit-neveu du célèbre cardinal) qui a assiégé la forteresse du port de Mahón (2) (dans l'île espagnole de Minorque). Pour fêter la prise du Castillo de San Felipe, en 1756, il a organisé un banquet. Le cuisinier a servi les viandes avec une sauce catalane, connue (depuis 1024) sous le nom de "all-i-oli" (littéralement "ail et huile") (3) et composée d'ail pilé dans un mortier (Mörser) et d'une émulsion d'huile (d'olive, bien sûr) et de jaune d'oeuf. Par égard pour le palais (Gaumen) délicat de ses convives venus du Nord, le cuisinier a supprimé l'ail de la recette. Conquis par cette sauce, et en souvenir de sa victoire, le duc de Richelieu l'a baptisée "mahonnaise".


Cette explication n'a pas conquis tous les lexicologues : Friedrich Kluge, philologue allemand (1856-1926), estime de son côté que le mot "mayonnaise" vient du verbe "
mailler" qui signifiait "battre" en ancien français : il faut battre l'huile (autrefois à la main, aujourd'hui avec un batteur) pour faire "prendre" la mayonnaise.

Pour mener à bien la campagne des européennes, il faut se battre et surtout battre ses adversaires.
 

     Pour être au courant

 

1- Militaire et homme d’État, président de la République (1873-1879), Patrice de Mac-Mahon a été fait duc de Magenta (ville d'Italie) et maréchal de France par Napoléon III.
Pendant la Guerre de Crimée, lors du siège de Sébastopol (1855), il aurait prononcé son célèbre "J'y suis, j'y reste !" Il est resté et la ville est tombée…

Mac Mahon (littéralement : le descendant de l'ours) : un patronyme ni français ni minorquin - Les ancêtres du maréchal sont originaires d'Irlande. Ils se sont réfugiés en France avec Jacques II Stuart lors de la "Glorieuse Révolution" de 1689.


2- La capitale de Minorque
, elle, doit son nom au général carthaginois, Mahon, qui a fondé la ville et a annexé l'île à l'empire carthaginois en 205 avant J.-C. Encore une histoire de campagne et de bataille...


2 - L'aïoli provençal
est, à l'origine, composé uniquement d'ail pilé, d'huile d'olive et de sel, sans ajout de jaune d’œuf, de moutarde ou de jus de citron. Aujourd'hui, le mot "aïoli" désigne non seulement la sauce mais aussi tout le plat qu'elle accompagne : légumes, poissons (traditionnellement de la morue), escargots…


Otto, citoyen lambda

 

"Un scientifique utilise 20 fois plus de plastique qu’un citoyen lambda
La science pollue. Pipettes, boîtes de Pétri, tubes à essai : les objets en plastique à usage unique abondent dans les laboratoires du monde entier. Chaque année plus de cinq millions de tonnes sont jetés, soit 2% de ce type de déchets." (
article)

Un
individu "lambda" est une personne quelconque. L'expression "citoyen lambda" employée dans l'article est synonyme de consommateur moyen.

Mais quel est le rapport avec la lettre grecque du même nom, ancêtre du " L " de l'alphabet latin ? Placée entre "kappa" (notre "k") et "mu" (notre "m"), c'est la 11ème lettre de l'alphabet grec, qui en compte 24. Elle se situe donc au milieu de la liste, et c'est cette position médiane qui explique son sens figuré.

Tout comme l'alpha (la 1ère de cet alphabet) et l'oméga (la dernière) sont devenus respectivement le symbole du commencement et de la fin, la lettre lambda est celui du milieu, de la moyenne.

Cette acception figurée du terme apparaît dans l'argot de l'École Polytechnique au XIXe siècle : l'élève lambda était celui qui se situait au milieu du classement de sa promotion (Jahrgang). Ce n'était donc ni un sujet particulièrement brillant, ni un cancre (élève nul et paresseux).


L'équivalent allemand du citoyen lambda est désigné par un prénom : Otto Normalverbraucher, c'est le consommateur "normal", au sens de "moyen", une personne fictive ayant les caractéristiques et les besoins représentatifs de l'ensemble de la population.

Pourquoi Otto ? D'abord parce que c'est un mot court, facile à prononcer, qui peut se lire de gauche à droite ou l'inverse (c'est donc un palindrome comme Anna, Hannah ou Bob…). Ensuite, parce que c'était un prénom très populaire en Allemagne à la fin du XIXe siècle et jusqu'au début de la Grande Guerre. La génération née entre 1980 et 1914 a entre 60 et 26 ans en 1940 quand apparaît l'expression "Otto Normalverbraucher". (1)

Dans l'Allemagne en guerre, il devient nécessaire de rationner les denrées alimentaires et donc de déterminer différentes catégories dans la population, selon les besoins en nourriture : enfants et adolescents, travailleurs prioritaires (par ex. ceux qui sont employés dans l'industrie de l'armement), travailleurs de nuit, retraités, et donc aussi les "consommateurs moyens" qui avaient droit à une ration alimentaire "moyenne".


Bien que le prénom Otto ne soit plus guère porté aujourd'hui
(2), l'expression "Otto Normalverbraucher" reste toujours très employée dans les études de marché.

Il a pour équivalent Durchschnittsbürger, -mensch, Max Musterman, Lieschen Mûller, die Person von nebenan...

Dans la presse française, le "citoyen lambda" est tour à tour désigné comme "l'homme de la rue" ou "Monsieur Tout-le-monde", "Monsieur Duchmol", avec sa variante féminine "Madame Michu". (3)

 

     Pour être au courant

 

1- L'expression "Otto Normalverbraucher" a en outre été popularisée par le film "Berliner Ballade", sorti en 1948, dans lequel Gert Fröbe joue le rôle d'Otto, le personnage principal, un citoyen moyen de son époque.


2- Célèbres porteurs du prénom Otto,
après le Chancelier Otto von Bismarck (1815-1898) :
- Otto von Habsburg, homme politique allemand et fils du dernier empereur d'Autriche (décédé en 2011) ;
- Otto Waalkes, acteur (né en 1948) ;
- Otto Rehhagel, footballeur et entraîneur (né en 1938).

Il paraît cependant que le prénom revient à la mode depuis une dizaine d'années en Allemagne (particulièrement dans l'ancienne RDA). Ce n'est pas le cas en Autriche, peut-être parce qu'il rappelle "l'opération Otto" (Unternehmen Otto), nom de code (Deckname) choisi par Adolf Hitler pour désigner l'opération militaire qui a conduit à l'annexion de l'Autriche en mars 1938.


3- Le citoyen "lambda" dans d'autres langues :

- en Grande-Bretagne, il est appelé "Fred (ou Joe) Blogs", ou bien A. N. Other ("another" signifiant "un autre", c'est-à-dire, par extension, "n'importe qui") ;
- "italiano medio", synonyme de "cittadino comune" ou "uomo della strada" en italien ;
- en espagnol, ce "ciudadano medio" ou "promedio" est également nommé "ciudadano de a pie" (littéralement "citoyen qui va à pied"). Ce terme est apparenté au "peon", un valet de ferme en Amérique du Sud, dont le nom signifie littéralement "piéton" = celui qui se déplace à pied.


montrer patte blanche

 

"Des marins-pompiers de Marseille "contrôlés" par les guetteurs : ils doivent "montrer patte blanche". Dans certaines cités de Marseille, les trafiquants règnent sans conteste au point de pouvoir "fouiller" les militaires, les marins-pompiers, les infirmiers et ambulanciers en pleine opération de secours, ce qui fait perdre un temps souvent précieux." (article)


"Montrer patte blanche", c’est s’identifier ou donner un signe de reconnaissance pour être autorisé à entrer dans un lieu. L’expression vient d’une fable de
La Fontaine "Le loup, la chèvre et le chevreau", ou du moins c’est le fabuliste français qui l’a popularisée.

Le conte des frères Grimm propose, un siècle et demi plus tard, une version un peu différente de l’histoire : "Der Wolf und die sieben Geißlein".

Le biquet français se montre beaucoup plus malin que ses cousins "germains" : bien que sa mère lui ait simplement recommandé de n’ouvrir qu’à celui qui prononcerait le mot de passe convenu (1), il a la bonne idée de demander en plus au loup de montrer sa patte. Voyant qu’elle est noire, il refuse de lui ouvrir.

« Le biquet soupçonneux par la fente regarde : 'Montrez-moi patte blanche, ou je n'ouvrirai point.'» (2)

Les "sieben Geißlein", par contre, tombent dans le panneau (auf den Leim gehen, auf eine List hereinfallen) à la troisième tentative du loup, et six d'entre eux vont être dévorés.

« Die Geißlein riefen: 'Zeig uns zuerst deine Pfote, damit wir wissen, dass du unser liebes Mütterchen bist.' Da legte der Wolf die Pfote auf das Fensterbrett. Als die Geißlein sahen, dass sie weiß war, glaubten sie, es wäre alles wahr, was er sagte, und machten die Türe auf. »

Les chevreaux de Grimm ont peut-être des circonstances atténuantes : en effet, le loup est plus rusé - ou plus affamé ? - que son congénère français : pour tromper les cabris, il mange d'abord de la craie pour rendre sa voix plus douce, enduit (bestreichen, überziehen) ensuite sa patte de pâte à pain, puis de farine.


Après l'échec de cette opération de "blanchiment", peut-être que le loup, toujours affamé et frustré, est allé se venger en dévorant "le Petit Chaperon rouge" (Rotkäppchen) et sa grand-mère...

L’histoire ne le dit pas car La Fontaine a choisi de terminer sa fable par la morale suivante : "Deux sûretés (le sésame et la patte blanche) valent mieux qu'une". Devenue proverbiale sous la forme "Deux précautions valent mieux qu'une", elle se traduit en allemand par "Doppelt genäht hält besser" (une double couture tient mieux).

L'expression nous ramène au conte de Grimm qui se termine par une étrange séance de couture ! La chèvre ouvre le ventre du loup endormi après son copieux repas, afin de récupérer les 6 chevreaux qu'il avait engloutis. Avant de recoudre le ventre béant (klaffend), elle le remplit de lourdes pierres qui vont causer la perte du loup. A son réveil, l'animal se penche sur le bord d'une fontaine (3) pour se désaltérer (seinen Durst stillen), il tombe dedans et se noie.
"
Tout est bien qui finit bien" (Ende gut, alles gut!) : les sept petits (4) et leur mère dansent de joie.
 

     Pour être au courant


1- Le "mot du guet" qui sert sésame : "Foin* du loup et de sa race !"
*L'interjection "foin de" est vieillie. On l'utilisait pour marquer le rejet, le dédain (
zum Teufel mit dem Wolf = au diable le loup !) Elle n'a rien à voir avec le foin (herbe séchée / Heu) ; c'est vraisemblablement une altération de l'interjection "fi" - elle aussi vieillie, mais que l'on emploie encore dans l'expression "faire fi de qc" (verschmähen). Elle peut se traduire par "pfui", "pfui Teufel".
Tout comme "fi", "pfui" est une onomatopée (Schallnachahmung, Lautmalerei).


2- Vouvoiement en 1688 - tutoiement en 1812 - Alors que, dans la fable de la Fontaine, tous les protagonistes se vouvoient (la chèvre et son chevreau, le chevreau et le loup), ceux du conte de Grimm se tutoient (la mère et les sept biquets, ces derniers et le loup, le loup et le boulanger, puis le meunier (Müller).


3- Brunnen
peut se traduire par "puits" ou par "fontaine". Si j'ai choisi le second terme, c'est bien sûr pour le jeu de mots avec le fabuliste français, mais aussi pour une raison de vraisemblance : il est plus difficile de tomber par mégarde (aus Versehen) dans un puits (même avec le ventre rempli de cailloux). En effet, sa margelle (le rebord) est trop élevée.


4- Chevreau, biquet, cabri (du latin "capra" la chèvre, dont dérive aussi... la cabriole) : trois synonymes pour désigner les petits de la chèvre et du bouc.
En allemand, la chèvre = Ziege, est aussi appelée Geiß (avec ses variantes dialectales Gaiß, Goiß, Goaß) ou Zicke, d'où le nom de ses petits :
Geißlein, Zicklein, Ziegenkitz...


jeter l'eau propre sur quelqu'un...et le bébé avec l'eau du bain ?

 

"Ne jetez pas l'eau propre !" lance Sarah El Haïry, ministre déléguée à l'Enfance, à la Jeunesse et des Familles, à la députée LFI Sandrine Rousseau, lors des questions au gouvernement le 12 mars 2024.

Assistons-nous à un débat sur la gestion des ressources en eau potable ? Pas du tout. La ministre demande à la députée d'opposition de ne pas jeter le discrédit sur toute une profession, celle de l'Aide sociale à l'Enfance, lorsqu'il s'agit seulement d'un cas isolé de dysfonctionnement.


Est-ce un simple lapsus ? La langue de la ministre aurait-elle malencontreusement "fourché" (es war ein unglücklicher Versprecher) ? Apparemment pas, puisque madame El Haïry récidive quelques secondes plus tard lorsqu'elle déclare : "Nous ne nierons jamais qu'il y a des besoins essentiels, mais
ne jetez pas l'eau propre sur les assistants familiaux, sur les éducateurs spécialisés, sur les départements".

Ce n'est pas la première fois qu'elle utilise "jeter l'eau propre" (qui n'est pas une expression figurée) au lieu de "jeter l'opprobre" sur quelqu'un (1), c'est-à-dire jeter le discrédit sur lui, le blâmer publiquement (Schande über jn bringen). Interviewée à la radio, elle avait demandé : "Faut-il jeter l'eau propre sur l'ensemble des parlementaires français, des élus et des Français ?" (vidéo)


Errare humanum est. Perseverare diabolicum. (L'erreur est humaine, mais persévérer (dans son erreur) est diabolique). On peut se demander, alors que la ministre semble coutumière du fait (etw. nicht zum ersten Mal machen), pourquoi personne ne lui a expliqué que c'était un barbarisme. En tout cas, maintenant que la presse et les réseaux sociaux ont largement relayé cette bourde (Schnitzer), la voilà prévenue !


Il est probable que la ministre s'est
emmêlé les pinceaux (2), confondant "ne pas jeter l'opprobre" avec "il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain", c'est-à-dire rejeter en bloc quelque chose de négatif, sans tenir compte de ses aspects positifs.


L'eau propre... au sens propre

C'est en allemand qu'on trouve la première attestation de l'expression, en 1512, sous la forme "das Kind mit dem Bade ausschütten". Elle apparaît dans une œuvre de Thomas Murner (franciscain, poète et auteur satirique), qui est intitulée "Narrenbeschwörung" (Exorcisme des fous).
L'une des illustrations (gravure sur bois) montre le comportement insensé d'une personne atteinte de folie : une femme jette un bébé avec l'eau sale contenue dans le baquet
. L'expression est alors utilisée au sens propre.
(3)

Peu à peu, elle va acquérir le sens figuré que nous connaissons aujourd'hui. Par exemple, un siècle plus tard en 1610, elle est utilisée par Johannes Kepler pour mettre en garde ses contemporains : il ne faut pas jeter le discrédit sur l'astrologie, sous prétexte de quelques dérives. Lui-même était à la fois astrologue et astronome (4).


Vers la fin du XIXe siècle, la locution est reprise et traduite littéralement par l'historien anglais et germanophile
Thomas Carlyle : "to throw the baby out with the bath water". Au passage l'enfant (Kind) s'est transformé en "baby".

Le français a emprunté la locution à l'anglais au début du XXe siècle, reprenant le terme bébé, plutôt que "enfant" (5).


Conclusion : dans la pratique, ce n'est pas "l'eau propre" que l'on jetait avec le bébé, mais bel et bien "l'eau sale". En effet - slogan familier à une génération qui a connu "la Mère Denis" -, "dans le temps, on ne gaspillait rien. Ni l'eau, ni le savon, ni la lumière" !

 

     Pour être au courant

 

1- l'opprobre (m) : la honte publique.
Il est vrai que ce terme appartient à un registre soutenu (gehoben) et n'est plus guère utilisé aujourd'hui que dans l'expression "jeter l'opprobre" sur qn.
Commentaire caustique (ätzend) d'un lecteur : "[La ministre] n'a pas confondu deux mots [opprobre et eau propre], vu qu'elle n'en connaissait qu'un. C'est bien le problème !"


2- s'emmêler les pinceaux : dans cette expression familière, "pinceau" est synonyme de "pied". Au sens propre, cela signifie "trébucher", faire un faux pas et perdre l'équilibre (stolpern). Au sens figuré,  c'est s'embrouiller (sich verheddern).


3- l'expression "jeter le bébé avec l'eau du bain" est née à une époque où l'Allemand moyen ne connaissait ni l'eau courante, ni baignoire ni un système d'évacuation des eaux usées (Abwasser). Les enfants étaient lavés dans un baquet (Holzzuber), et l'eau sale était ensuite jetée dehors.


4- Kepler à Graz à la fin du XVIe siècle. Recruté comme professeur de mathématiques par l'Ecole évangélique de Graz en 1584, Johannes Kepler doit, en plus de ses cours, élaborer des "cartes astrales", des "almanachs" (l'équivalent des horoscopes d'aujourd'hui) et réaliser des prédictions astrologiques. Il estime qu'il ne faut pas rejeter en bloc l'astrologie. Man soll nicht „bei billiger Verwerfung des sternguckerischen Aberglaubens, das Kind mit dem Bade ausschütten“.


5-
En français, le terme "bébé" n'est utilisé dans le sens de "très jeune enfant" qu'à partir du début du XXe siècle. Avant, on parlait de "nourrisson", "nouveau-né" ou "enfançon".

D'après les lexicographes, "bébé" ce ne serait pas une adaptation de l'anglais "baby", Cependant, les deux mots ont un radical onomatopéique commun : "beb-", viante de "bab-", que l'on retrouve par ex. dans le verbe "babiller" (brabbeln)


d'où vient le cappuccino ?

 

Peut-être en buvez-vous régulièrement, mais savez-vous quelle est son origine ?
Contrairement à ce que suggère son nom bien italien, le cappuccino n'est pas né en Italie, mais en Autriche, plus exactement à Vienne, sous le nom de
Kapuziner, au XVIIe siècle, c'est-à-dire à une époque où la consommation de café était encore peu répandue en Europe.

Le premier café a été créé à Vienne en 1685 par un Arménien du nom de Johannes Théodat. (1)

Un an plus tard, Francesco Procopio dei Coltelli, originaire de Sicile, a ouvert un café à Paris, en face de la Comédie-Française. C'est aujourd'hui, toujours au même emplacement, le fameux "Procope" (qui n'est plus un café, mais un restaurant).


Au début, les différentes variétés de cafés servis à Vienne ne portaient
pas de nom, et on ne proposait pas de carte des boissons aux clients. Pour guider leur choix, le serveur leur présentait une palette de couleurs en dégradé, allant du noir au blanc crème et représentant les différentes sortes de café, du plus corsé (kräftig) au plus léger (selon une anecdote rapportée par Friedrich Torberg dans "Die Tante Jolesch", 1975)
.


Le Kapuziner est alors un café
à forte teneur en caféine. Il est sucré (le plus souvent avec du miel), mélangé avec un peu de crème et coiffé d'un dôme de mousse de lait.

 

Il doit son nom à l'ordre des frères Capucins (de la famille des Franciscains)  qui, lui-même, doit son nom au manteau à capuche pointue (2) porté par les moines de cet ordre.

◀ Frère capucin tonsuré et capuche baissée


La
couleur brune du café rappelle celle de ce vêtement. Lorsque le Capucin retirait sa capuche, on apercevait son crâne tonsuré : le dôme de mousse de lait qui coiffe aujourd'hui le "cappuccino" rappelle cette zone claire, dépourvue de cheveux, sur le sommet de la tête du moine.


Au XVIIIe siècle, le Kapuziner, enrichi de nouveaux arômes, d'épices et de crème fouettée, se répand
dans tout l'empire des Habsbourg, en particulier dans le Frioul-Vénétie Julienne, région alors sous domination autrichienne. C'est à cette époque-là que son nom s'italianise en "cappuccino".

Bien entendu, la mousse de lait est préparée manuellement. Ce n'est qu'au début du XXe siècle, avec l'invention de la machine à café espresso que la boisson commence à prendre sa forme actuelle.

Les frères capucins ont donné leur nom non seulement à ce café d'origine viennoise, mais aussi :

 

- à un petit singe d'Amérique tropicale (Kapuzineraffe) à cause de sa fourrure bicolore. Mais chez ce sapajou (Cebus capucinus), les couleurs sont inversées : c'est une calotte sombre qui coiffe le sommet de sa tête aux poils blancs ;


- à une fleur :
la capucine (Kapuzinerkresse). En effet, l'éperon (Sporn) du bouton de cette fleur rappelle la forme pointue du capuchon des moines capucins.



     Pour être au courant



1- Selon la légende, après la levée du deuxième siège ottoman de Vienne en 1683, les Viennois auraient trouvé des sacs remplis de grains étranges (les fèves de café vertes, non torréfiées / geröstet) qu'ils ont pris pour du fourrage (Tierfutter) pour les chameaux et ont voulu les brûler.
Jean III Sobieski, le roi de Pologne victorieux des Ottomans, les aurait récupérés et confiés à l'officier Jerzy Kulczycki qui était aussi son interprète car il parlait le turc et le hongrois. C'est ce dernier qui aurait fondé le premier café à Vienne.

L'anecdote est trop belle pour être vraie. Mais les chameaux à Vienne, ce n'est pas une invention ! Lors du 1er siège de la ville en 1529, les Ottomans avaient amené avec eux 22 000 chameaux  - comme bêtes de somme (Lasttier) - et des milliers également lors du second siège. On a d'ailleurs retrouvé un squelette complet de chameau à Tulln (Basse-Autriche).

Gravure représentant le siège de Vienne 1683 par l'armée ottomane avec ses chameaux


2- le Kapuziner / capuccino est, littéralement, un "porteur de petite capuche" ("capuce" en italien, "Kapuze" en allemand) : les trois mots dérivent du latin caputium (même sens), qui vient lui-même de caput (tête).


3- La machine à espresso est inventée et brevetée en 1884 par l'ingénieur turinois Angelo Moriondo.
Elle est améliorée par l'invention d'Achille Gaggia, brevetée en 1947 : avec l'augmentation de la pression, le café qui sort de la machine est couronné d'une mousse onctueuse, appelée "
crema".
En 1970, La Marcozzo, à Florence, met au point la GS, une
machine à double chaudière permettant de produire simultanément de la vapeur pour le lait et de l'eau chaude pour l'expresso.


faire une omelette sans casser des oeufs ?

 

Avec Papondu, c'est possible ! •• Herablassung ••

"Voici le premier œuf végétal créé par des Françaises. Papondu est un œuf qui, comme son nom l’indique, ne provient pas d’une poule. Il est 100 % végétal et possède des valeurs nutritionnelles proches de l’original. Il se présente sous la forme d’un blanc liquide dans lequel se trouve un jaune sphérique, une prouesse •• hervorragende Leistung •• à mettre sur le compte d’une technique de cuisine moléculaire."

Dans un premier temps, l'oeuf Papondu sera vendu en version battue - plus facile à commercialiser - "sous la forme d’un liquide sous plastique qu’on peut utiliser pour faire des omelettes véganes mais aussi des gâteaux." (article)

Miam !

Bien que l'oeuf "Papondu" (litt. "nicht gelegt") soit commercialisé depuis octobre 2022, vous n'en avez encore jamais entendu parler ? Moi non plus, d'ailleurs…
Peut-être s'agit-il là d'
une invention "qui ne casse rien •• nichts Besonderes, nicht umwerfend sein •• " ? (1)


Le proverbe "on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs" signifie qu’on n’obtient rien sans qu’il y ait des effets secondaires parfois regrettables, ou même des victimes.

Cette métaphore culinaire est courante en français mais elle est de plus en plus concurrencée par l’expression "dommages collatéraux" (calque de l’anglais collateral damage), utilisée pour la première fois pendant la guerre du Vietnam et popularisée depuis par les médias, si bien qu’elle ne se réfère plus seulement au domaine militaire. On la met maintenant à toutes les sauces •• mis à toutes les sauces : bei jeder Gelegenheit verwendet, für alles erhalten müssen •• .


Ce qui nous ramène à l'omelette et au domaine de la gastronomie (2)

Le mot omelette vient du latin lamina (lame) après toute une série de transformations :

lamina lamella : forme diminutive (dont est aussi dérivé le mot lamelle)
lemelle alemelle : avec
agglutination du "a" de l’article défini ("la lemelle" est interprété phonétiquement comme "l'alemelle") ;
alemette :
diminutif du précédent
amelette : avec
métathèse du "m" et du "l" (attesté au milieu du XVe siècle)
omelette : c'est sous l’influence du mot œuf (écrit et prononcé "
of" jusqu’au XIIIe siècle)
que l’initiale "a" s’est transformée en "o".


Mais quel est le
rapport entre une omelette et une lamelle ?
Les lexicologues estiment que ce plat préparé à base d’œufs doit son nom à sa forme aplatie.


Au milieu du XVIe siècle, c’est sous la forme "
homelaicte" qu’on retrouve l’omelette chez Rabelais dans un chapitre où il décrit une île dont les habitants se donnent des noms étranges, basés sur des calembours •• Kalauer •• : "L’un appelait sa femme homelaicte, elle le nommait mon œuf : et ils étaient alliés comme une homelaicte d’œufs". (3)
Rien n’indique cependant qu’il s’agissait alors d’un plat destiné aux humains.

Quelques années plus tard, l’omelette - sous sa forme orthographique actuelle - fait son apparition dans un recueil de "Receptes pour guarir les chiens". (4)


Il n’est pas question d’œufs dans le proverbe allemand correspondant, mais de copeaux •• Hobelspan •• de bois. On quitte la cuisine pour l’atelier du menuisier •• Tischler •• ou de l’ébéniste •• Schreiner ••  :
Wo gehobelt wird, fallen Späne (Là où on rabote, il tombe des copeaux).

Attestée depuis la fin du XIXe siècle, la locution a le même sens et le même emploi que son équivalent français : elle est souvent utilisée – avec un peu de mauvaise foi - quand il s’agit de justifier des procédés indélicats •• rücksichtlos •• .

Il n’est donc pas tellement étonnant qu’on la retrouve parmi ce qu’on appelle aujourd’hui les "éléments de langage" (la langue de bois •• Phrasendrescherei •• version XXIe siècle) des hommes politiques.

On ne dit plus "il faut donner un coup de rabot" (den Hobel ansetzen), c'est-à-dire réduire des dépenses budgétaires ; on parle d'ajuster les dépenses.

Et tant pis pour •• das ist dein / sein / ihr Pech! Dumm gelaufen •• les victimes de ces "ajustements" : les "copeaux" et les "œufs cassés" !
 

 

     Pour être au courant

 

1- ça ne casse rien = cela n'a rien d'exceptionnel, das ist nichts Besonderes
Dans cette expression, le verbe "
casser" est utilisé dans le sens de "avoir un effet retentissant" (du latin quassarequatare : agiter fortement)


2- gastronomie : mot emprunté au grec ancien, où il signifie "art de régler l'estomac".
Il se compose de "gaster" = estomac et de "nomos" = loi.

 

3- homelaicte : "l’ung appelloyt une sienne mon homelaicte, elle le nommoyt mon œuf : et estoyent alliez comme une homelaicte d’œufs." Rabelais, Quart Livre, 1548. Description de "l'île des alliances" dans la langue originale.


4- antirabique : ce mélange d’œufs battus est proposé comme un remède très sûr pour guérir les chiens de la rage •• Tollwut •• , surtout si on y ajoute de la "pinprenelle" (la pimprenelle •• Pimpinelle •• ), mais surtout pas de sel !


Dans les autres langues romanes, le proverbe correspondant est plus ou moins calqué sur le français :
- No se hacen tortillas sin romper huevos (en espagnol) ;
- Non si può fare la frittata senza rompere le uova (en italien) ;
- Não se fazem omeletas sem ovos (en portugais) ;
-
Nu poti sa faci omleta fara sa spargi oua (en roumain) ;

En anglais, l’expression la plus courante est You can't make an omelette without breaking eggs,
- mais on utilise aussi la forme where the wood is chopped, splinters must fall, où on retrouve le travail du bois et les copeaux qui en résultent,
- comme dans l’expression néerlandaise : waar gewerkt / gehakt wordt, vallen spaanders.

Il y a l’omelette et das Omelett ! En France, une omelette ne contient que des œufs battus (plus un peu de sel et de matière grasse) tandis qu’en Autriche, le mot Omelett désigne un mets contenant aussi de la farine et du lait.


l'art de se défiler quand on ne veut pas défiler

 

« Ce samedi [24/02/2024] s'ouvre la 60e édition du Salon de l'Agriculture à Paris.
Emmanuel Macron est arrivé sous les sifflets et dans un climat de forte tension samedi matin au Salon de l'agriculture, où des dizaines de manifestants ont forcé une grille pour entrer dans les lieux avant l'heure, sur fond de crise agricole. Après avoir rencontré des syndicats de la profession, le Président a rencontré et débattu avec des agriculteurs et des représentants des différentes organisations syndicales, en mettant en avant son envie de "dialogue".» (
article)

"Le président de la République ne se défile pas", a déclaré Antoine Armand (député Renaissance de Haute-Savoie).


"
Se défiler", c'est se dérober à ses responsabilités, s'esquiver quand la situation devient critique.
On est là bien loin du
défilé du 14 juillet, où les différents corps de troupe défilent sur les Champs-Elysées, sous les yeux du Président de la République qui trône sur la tribune d'honneur.
Et encore plus loin d'un
défilé de mode !


Et pourtant, "défiler" et la forme pronominale "se défiler" dérivent bel et bien de "
file", et donc de "fil".

La file, suite de personnes ou de choses placées l'une derrière l'autre sur une certaine longueur, ou avançant l'une derrière l'autre, vient du latin filum : fil, filament, déjà employé au sens propre et au sens figuré (par ex. au fil de l'eau, au fil du temps, passer au fil de l'épée…).

Le verbe "filer" possède lui aussi un sens propre (transformer une fibre textile en fil / spinnen) et un sens figuré (disparaître rapidement, s'esquiver, par ex. "filer à l'anglaise" qui se traduit en allemand par "sich Französisch verabschieden").


Mais quel est le rapport du verbe "(se) défiler" avec une file ?

Le terme est d'abord (au XVIIe siècle) employé dans le domaine militaire : "défiler" un ouvrage de défense ou les hommes d'une troupe, c'est le/s disposer de manière à éviter l'enfilade du feu ennemi. En effet, obéissant aux lois de base de la physique, la flèche d'un arc, la balle d'un mousquet ou d'un fusil, un boulet de canon ont une trajectoire rectiligne et pas un parcours en zigzag.

Ainsi, pour ne pas offrir une cible trop facile à l'ennemi, les hommes de troupe rompent la file, ils "se défilent", ils "sortent du rang", au lieu de se déplacer les uns derrière les autres en file indienne. (1)

Au début du XIXe siècle (attestation en 1826), "se défiler" prend le sens figuré que nous connaissons aujourd'hui, à savoir "se soustraire à ses obligations" ou, plus familièrement, "se débiner" (2).


Comme équivalent allemand, on peut proposer "
sich drücken" (littéralement : s'aplatir) (3) : "sich jm. oder einer unangenehmen Sache nicht stellen, sich einer Herausforderung, einer Verpflichtung entziehen".


Un "
Drückeberger" (4) , c'est quelqu'un qui se défile. Le terme est surtout utilisé

- dans le domaine du travail en général : c'est celui qui se prétend malade pour ne pas aller travailler ou celui qui pratique le "shirking" (littréralement "dérobade"), un phénomène appelé "absichtliche Leistungszurückhaltung" en allemand, ou, en français, "retenue délibérée dans le rendement de son travail"... (5)

- dans le domaine militaire (où le terme est attesté à partir de la seconde moitié du XIXe siècle), il désigne celui "qui se fait porter pâle" pour éviter les corvées, pour ne pas combattre, ou celui qui quitte les lieux où se déroule le combat pour gagner des lieux moins exposés, par ex. les flancs du champ de bataille.

C'est de ce comportement que vient l'expression "tire-au-flanc", synonyme français de Drückeberger. d'abord (1887) utilisé dans le domaine militaire, puis dans un sens plus large.


Sich drücken / se défiler - Pour se soustraire au danger, les uns s'aplatissent (à l'exemple du lapin qui cherche à échapper aux chasseurs et aux chiens, d'autres sortent de la file pour ne pas se trouver dans la ligne de tir de l'ennemi.

Selon Antoine Armand, député macroniste, le Président de la République ne se défile pas, il ne se fait pas porter pâle : il ne se dérobe pas à la discussion avec les paysans en colère.

     Pour être au courant

 

1- Le sens moderne de "défiler" : marcher en file, se déplacer dans une revue en formation de parade, les uns derrière les autres, devant des autorités, ou devant des spectateurs (lors d'un défilé de mode, par ex.) est donc exactement le contraire de son sens originel, à savoir sortir d'une file !


2- "se débiner"
signifie à la fois - "fuir" physiquement (s'enfuir) ou "fuir" au sens figuré de "esquiver qc", "se dérober à qc" (fuir ses responsabilités).


3- "sich drücken"
est à l'origine un terme cynégétique (qui concerne la chasse). Dès le XIIIe siècle, il est aussi employé au sens de "filer sans se faire remarquer". Le sens figuré (se dérober à une obligation) est attesté depuis le XIXe siècle.


4- Le terme "Drückeberger" est composé comme "Schlauberger" ou sa variante "Schlaumeier" (qui désignent un petit malin), à savoir du verbe / ou adjectif qui qualifient la personne et d'un patronyme ou toponyme (Berger / celui qui habite dans les montagnes ; Meier : le fermier).


5- Des circonlocutions
: "absichtliche Leistungszurückhaltung" et "retenue délibérée dans le rendement de son travail"... Cela rappelle la réplique ironique mise par Molière dans la bouche de Philinte, à propos d'un sonnet composé en langage précieux et peu compréhensible ("Le Misanthrope", Acte 1 -1666) : "Ah, qu'en termes galants ces choses-là sont mises !" ("galant" dans le sens de "raffiné, délicat").


hors sol - ou - bodenständig ?


"
Hors-sol", "déconnecté", "méprisant" : les oppositions fustigent •• rügen, tadeln; litt. geißeln, auspeitschen •• Emmanuel Macron après son interview."
Le député François Ruffin (LFI] a estimé que le chef d'Etat est "complètement hors-sol et ne comprend pas comment vivent les gens. À droite aussi les critiques fusent •• les critiques fusent : es hagelt Kritik •• . Louis Aliot [RN] a dénoncé un président "en déconnexion totale avec le pays. (…) Il tente d’imposer des réformes même contre l’avis de son camp. Il se moque pas mal de ce qu'il se passe dans son pays". (
article)


L'interview date du printemps dernier (2023), mais aujourd'hui les critiques n'ont guère changé : les paroles et les actes du Président et de la majorité macroniste sont totalement
"hors sol", déconnectés de la réalité - c'est-à-dire des conditions de la vie quotidienne du "Français moyen".


L'emploi de "hors sol" au sens figuré est relativement récent : attesté vers le milieu des années 2010, il est devenu plus courant que le sens propre qui, jusque là, s'appliquait au domaine de l'élevage, de l'agriculture ou du bâtiment :  

- dans l'élevage hors sol, les animaux ne sont pas nourris avec les produits cultivés sur le sol de l'exploitation (flächenunabhängige Tierhaltung) ;
- dans
l'agriculture hors sol, les cultures sont faites sans le support du sol : c'est le cas de l'hydroculture ou de l'aéroponie ;
- une
piscine dite "hors sol" n'est pas enterrée : elle est en général amovible, (freistehender Swimmingpool).


La France d'en haut contre la France d'en bas (1)

Appliqué à une personne, à ses propos ou à ses actions, le terme "hors sol"  concurrence aujourd'hui son synonyme "déconnecté" -  littéralement : qui a perdu le contact, la connexion - et y ajoute une notion de mépris. Selon ses opposants, Emmanuel Macron, "président hors sol", n'a plus les pieds sur terre, il plane bien au-dessus du commun des mortels •• die Normalsterblichen •• dont il ne partage pas les soucis. Il fait preuve de désintérêt, de dédain et de condescendance •• Herablassung •• (2) à leur égard.


Hubris contre enracinement

L'équivalent de "hors sol" en allemand est "abgehoben", littéralement "qui a décollé", qui ne touche donc plus terre, mais qui, en poursuivant cette politique hors sol, a peu de chance de décoller (3) dans les sondages !

Voilà tout le contraire de quelqu'un qui est "bodenständig", c'est-à-dire une personne pragmatique, qui a les deux pieds sur terre, qui a le sens des réalités, qui est enracinée dans le terroir. Ce manque d'enracinement •• Verwurzelung, Bodenständigkeit ••  est souvent reproché à la classe politique macroniste dont la plupart des représentants (ministres, députés, sénateurs…) n'ont pas d'attaches, de racines régionales.


Autre équivalent :
realitätsfremd, qui se traduit de façon moins concise •• bündig, prägnant •• en français par "coupé, déconnecté de la réalité", "qui n'a pas le sens des réalités".

 

 

     Pour être au courant


1- La France d'en haut et la France d'en bas
(die französische Führungsschicht und das Frankreich der kleinen Leute) : cette citation est attribuée à Jean-Pierre Raffarin (premier ministre de 2002 à 2005, sous la présidence de Jacques Chirac).


2- condescendant -  Dans une grille de mots croisés, Robert Scipion (si mes souvenirs sont bons…) a proposé comme définition : "qu'il remonte, l'imbécile !"


3- décoller vient de "colle" : l'avion qui décolle doit s'arracher à la piste d'envol, s'en détacher.
Cependant décoller a un autre sens :
trancher le cou (anciennement "col") à qn, autrement dit le décapiter. Le dernier chef d’État français à avoir perdu son chef •• Haupt, Kopf •• sur le billot •• Hackklotz •• de la guillotine était Louis XVI, il y a 231 ans...


des allers-retours entre le jardin et le hangar

 

"Un incendie s'est déclaré mercredi dans un hangar à Saint-Mitre-les-Remparts, dans les Bouches-du-Rhône. Par mesure de protection face aux fumées potentiellement dangereuses, une école a été confinée." (article)


Le mot "
Hangar" est couramment utilisé en allemand, mais dans un sens plus restreint qu'en français : il désigne aujourd'hui un grand bâtiment destiné à abriter toutes sortes d'engins volants : avions, hélicoptères, dirigeables (Luftschiff), navettes spatiales…

En français, par contre, sa définition est plus large : un hangar est un grand bâtiment, souvent réduit à une couverture (1), qui sert à stocker des récoltes, les fourrages, toutes sortes de matériaux, et / ou à abriter des véhicules, des aéronefs...


Le mot est attesté en français depuis le début du XIVe siècle : son usage est alors essentiellement
agricole. L'allemand l'emprunte vers 1800 et l'utilise dans le domaine militaire où il désigne un abri pour les soldats, les armes et les munitions.


Ce n'est qu'avec le développement de l'aviation militaire au tout début du XXe siècle
(2) que, dans les deux langues, le terme commence à désigner également un grand hall accueillant des aéroplanes et d'autres véhicules.             

                Un hangar du XXIe siècle : le Hangar-7 de Red Bull 
           
en verre et acier, à l'aéroport de Salzbourg-W.-A.-Mozart.
         


L'emprunt de l'allemand au français est en réalité un "
prêté-rendu", c'est-à-dire un réemprunt :
le
"h" aspiré de hangar trahit d'ailleurs son origine germanique.

Le mot vient de l'ancien bas francique "haimgard", composé
- de "
haim" ("petit village", ou ensemble de bâtiments comme ceux d'une ferme, par ex. = Gehöft),  
- et de "
gard" (clôture / umzäunter und darum geschützter Bereich, Gehege).

"Haimgard" signifiait donc "clôture autour de la maison".

L'allemand "Heim" (maison, foyer) et le français "hameau" (Weiler) dérivent aussi de "haim".
De son côté, "gard" a donné naissance à "
Garten", "jardin" (4).


Le sens originel de gardo, garto, gart, n'est pas celui d'un lieu cultivé : le terme désigne d'abord la clôture qui entoure un espace où humains, animaux et cultures sont bien "gardés", puis cet espace clôturé lui-même.


En effet, garto dérive de
Gerte qui désigne une vergette, un rameau flexible (de saule / Weide ou de noisetier par ex.).
◀ Entrelacées, ces petites branches souples étaient utilisées pour confectionner des clôtures, des
plessis (5).


Un très long voyage étymologique entre le hangar de verre et d'acier de Redbull d'aujourd'hui et les plessis qui protégeaient les lieux habités au haut Moyen âge...

 

     Pour être au courant

 


1- Le hangar (Schuppen, Lagerschuppen) est donc distinct d'une grange (Scheune) qui, elle, est fermée sur tous les côtés.


2- Les premiers hangars à avion. Au début des années 1920, quand Louis Blériot doit effectuer un atterrissage en catastrophe dans un hameau proche de Sangatte, à 8 km à l'ouest de Calais, il remise (unterstellen) son avion endommagé dans une étable pour bétail en acier appartenant au fermier du coin. Très satisfait de cet abri improvisé, Louis Blériot contacte REIDsteel, le constructeur de ce hangar agricole, et commande ses trois premiers hangars à avion.

Ce hameau de Sangatte appelé "Les Baraques (car on y avait construit des baraquements en 1624 pour abriter les pestiférés (Pestkranke) de Calais) sera rebaptisé "Blériot-Plage" en 1936, après la mort de l'aviateur, le 1er homme à avoir traversé la Manche en avion (en 1909).


3- le "h" initial de "hangar" est aspiré : donc pas d'élision de l'article (on écrit "LE hangar" et pas "l'hangar") ni de liaison (on prononce "un 'hangar [ɛ̃ ɑ̃ɡaʁ] " et pas "un Nangar [ɛ̃ nɑ̃ɡaʁ] "


4- Pour désigner le jardin il y a quelque deux mille ans, "nos ancêtres les Gaulois" romanisés utilisaient l'expression "hortus gardinus" (jardin clos). La plupart des langues européennes n'ont retenu que la deuxième partie du terme : Garten (allemand), garden (anglais), jardin (français), jardín (espagnol), giardino (italien)...

Le "hortus" latin ne subsiste plus que dans les mots apparentés à horticulture (Gärtnerei) et dans ortolan (Fettammer, Ortolan).


5-  Le plessis est une haie aux branches entrelacées. Le mot vient du latin plectare (qui est apparenté à l'allemand "flechten") : tresser, entrelacer les branches. Cette haie "morte" (tote Hecke, Totholzhecke) s'oppose à la "haie vive" (grüne Hecke).

 


Boeing contre Rafale - ou Böing contre Bloch

 

Combat aérien - "Après deux années de tests par la marine indienne, le Rafale de Dassault serait passé devant le F-18 de Boeing. Une commande pour 26 appareils pourrait être signée en mars lors d'un déplacement d'Emmanuel Macron en Inde."  (article)


Sur le marché des avions de combat, la concurrence est rude •• hart •• entre le Rafale "omnirôle •• avion omnirôle : Mehrzweckkampfflugzeug •• " de Dassault et le F-8 de Boeing. Pourtant, les deux noms, Rafale et Boeing, sont étroitement liés - du moins d'un point de vue étymologique.


En 1881, lorsque
William Edward Boeing, le fondateur de l'entreprise du même nom, naît à Détroit (Michigan) (1), il est déclaré à l'état-civil •• Standesamt •• sous le nom de Wilhelm Eduard Böing. Ses parents,  Allemands originaires de la région de Limburg (dans le Sauerland), avaient émigré aux États-Unis en 1868. Son père y a fait fortune dans le commerce du bois, mais est mort de la grippe à seulement 44 ans.


Un tréma traître •• verräterisch ••

Le jeune Wilhelm est envoyé dans un internat suisse et, sa scolarité •• Schulzeit, Schullaufbahn •• terminée, il retourne aux États-Unis et demande à ce que son nom soit américanisé. Ses prénoms, et surtout le "Umlaut" de Böing, trahissaient •• trahir : verraten, erkennen lassen •• son origine étrangère (à une époque où les relations germano-américaines n'étaient pas vraiment au beau fixe •• ne pas être au beau fixe : nicht ungetrübt sein •• (2).


Un heureux hasard ?

Devenu officiellement William Edward Boeing, il commence des études à l'université de Yale et les abandonne •• aufgeben, abbrechen •• sans avoir obtenu de diplôme. En 1916, il fonde •• gründen •• la B & W Pacific Aero Products, qui devient la Boeing Airplane Company en avril 1917 : juste au même moment, les États-Unis entrent en guerre contre l'Allemagne, et - bingo ! - Boeing obtient la commande de cinquante hydravions •• Wasserflugzeug •• pour la marine américaine.


Un nom prédestiné ?

Böing a pour radical "Böe", mot qui signifie "coup de vent violent et subit", "bourrasque" ou "rafale". Ein böiger Wind, c'est un vent qui souffle en rafales. Et le F-18 de Boeing est un avion de combat qui peut exécuter des tirs en rafale •• Schuss-Salve •• avec son canon rotatif •• rotary cannon, Trommelkanone •• … tout comme le Rafale de Dassault (3), choisi, lui, par la marine indienne.


Boeing et Mulhouse

Outre •• abgesehen von •• ce rapport étymologique entre le Boeing et le Rafale, il existe un lien entre l'entreprise américaine et l'Alsace.
Ludwig Böing, oncle de Wilhelm alias William, était propriétaire d'une usine de filature •• Spinnerei •• à Mulhouse - ou plutôt
Mülhausen puisque, de 1871 (annexion de l'Alsace) jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale, la ville était (re-) devenue allemande.

C'est à l'aérodrome de Mulhouse-Habsheim que Wilhelm a appris à piloter. De plus, il a effectué plusieurs stages •• Praktikum •• chez Aviatik, entreprise de construction automobile et aéronautique, alors située à Mulhouse. Des documents attestent •• bezeugen, beweisen •• d'ailleurs que les premiers avions Boeing ont été fabriqués à Mulhouse et envoyés à Seattle en pièces détachées •• in Einzelteilen •• .


Les années passant •• im Laufe der Jahre •• , la taille des avions n'a cessé d'augmenter.
Le Boeing F18 possède aujourd'hui une envergure •• Flügelspannweite •• de 14 m, soit 3 m de plus que celle du Rafale. Un "détail" de taille •• bedeutend •• qui, comme, le précise l'article cité ci-dessus, explique peut-être pourquoi l'avion français l'a emporté •• l'emporter sur qn, qc : über jn, etw. siegen •• sur son concurrent américain : "La taille du F-18 qui ne lui permet pas de passer dans les ascenseurs du porte-avions indien, n'a pas joué en faveur de •• jouer en faveur de qc : sich zugunsten von etw. auswirken •• Boeing" !


 

     Pour être au courant



1- Detroit, Cadillac et Pontchartrain
, des noms témoins du passé français de la "Grande Louisiane", qui s'étendait des "Grands Lacs" jusqu'au Golfe du Mexique. (carte)

Le siège social de Boeing ne se trouve pas à Détroit, mais à Arlington (Virginie), et sa plus grande usine est près de Seattle (état de Washington).

Par contre, le constructeur Cadillac (groupe General Motors) est basé à Detroit.
Son nom rend hommage au fondateur français de la ville, le Gascon
Antoine de Lamothe-Cadillac.
Fondée (en 1701) sous le nom de
Fort Pontchartrain du Détroit, la ville doit son nom au détroit - passage aquatique naturel - qui relie le lac Erié au lac Sainte-Claire.
Le nom de
Pontchartrain (qui est aussi celui d'un grand lac de Louisiane) a été choisi pour rendre hommage au ministre de la Marine de l'époque, le comte de Pontchartrain


2- les raisons de la montée de l'anti-germanisme aux Etats-Unis entre 1870 et 1914
(ouvrage en anglais)

 

3- Marcel Dassault (1892-1986) - fondateur de la Société Dassaut Aviation - est né Marcel Ferdinand Bloch. Pour oublier la période sombre de la guerre,  il fait changer son patronyme en Bloch-Dassault en 1946, puis en Dassault en 1949.

En effet, après l’Armistice de 1940, Marcel Bloch qui refusait de collaborer avec l'envahisseur allemand, a été interné par le gouvernement de Vichy, puis déporté au camp de Buchenwald où il est resté huit mois.

"Dassault" est tiré du nom de code "Chardasso" (autrement dit "char d'assaut" = tank, panzer, blindé), un des pseudonymes utilisés par son frère, le général Darius Paul Bloch, engagé dans la Résistance.  Le " L " vient du mot anglais "assault".


des blindés contre le "siège de Paris"

 

Afin d'éviter le "siège" de Paris et du marché de Rungis [auquel ont appelé La FNSEA et les Jeunes agriculteurs du Grand bassin parisien], le ministre de l'Intérieur précise qu'il y aura des "unités de forces mobiles", mais aussi "des véhicules blindés et des hélicoptères de la gendarmerie nationale pour (...) anticiper les mouvements des tracteurs". (article)


Les 15 000 policiers et gendarmes mobilisés doivent les empêcher d'entrer dans les grandes villes, et de permettre à Rungis, premier marché de gros de produits frais d'Europe, ainsi qu'aux aéroports parisiens et régionaux de continuer à fonctionner.


Le dernier siège de la capitale a eu lieu pendant la guerre franco-prussienne, à partir de décembre 1870, et n'a été levé que le 28 janvier 1871, à la signature de l'armistice.

Pas d'Allemands - et plus de fortifications (1) - cette fois-ci, mais des agriculteurs français en colère, arrivés avec leurs "outils de travail", les tracteurs. Etant donné que ces engins ont aujourd'hui un poids moyen de 4 à 6 tonnes, l'équipement habituel des forces de l'ordre ne suffirait pas à leur barrer la route, ou du moins à les dissuader (davon abbringen) de poursuivre leur chemin jusqu'à Rungis, Roissy ou jusqu'au centre de Paris. D'où les blindés…


Le "
blindé" est aussi appelé "char d'assaut", tank (2) ou même, depuis la 2ème Guerre mondiale, "panzer", comme en allemand. Le nom dérive-t-il de l'allemand "blind" ?

Aujourd'hui, "blinder", c'est renforcer un véhicule (par ex. une voiture, un train, un navire) ou une porte avec des plaques métalliques pour les protéger contre les effets des projectiles, des explosions ou des tentatives d'effraction (Einbruch).


Au XVIIe siècle, dans le langage militaire, "garnir de blindes" une tranchée ou un ouvrage fortifié signifiait les couvrir de pièces de bois (Blende) pour mettre leurs occupants
à l'abri, à la fois de la vue et des projectiles de l'ennemi.

L'idée d'origine est bel et bien de créer une illusion pour tromper l'adversaire : en effet, blenden - dont dérive l'adjectif blind - signifie non seulement "aveugler" au sens propre mais aussi "éblouir, tromper" au sens figuré.

Un concept que l'on retrouve dans les expressions fenêtre aveugle = Blindfenster, une ouverture en trompe-l'oeil, dont l'ouverture est seulement simulée par un cadre peint ou maçonné.


Les blindés
(3) ont pris position autour de Rungis, des aéroports ou à l'entrée des grandes villes françaises.

Les forces de l'ordre, elles, sont blindées, au sens figuré du terme (abgehärtet) : avec la multiplication des "mouvements sociaux" des derniers mois - des "Gilets jaunes" à la "jacquerie" (Bauernaufstand) actuelle, en passant par la réforme des retraites et l'embrasement (Aufflammen der Unruhen) des banlieues avec "l'affaire Nahel", ils en ont vu d'autres (schon vieles erlebt haben)...

 

     Pour être au courant

 

1- L'enceinte fortifiée, dite "de Thiers", construite à partir de 1840 pour empêcher Paris de tomber aux mains des armées étrangères comme lors de la bataille de Paris en 1814, se composait d'un mur d'enceinte continu, percé de portes, et renforcé de 94 bastions, d'un fossé et de 15 forts. En 1870, ces fortifications se trouvent sans armement et ne sont plus entretenues : elles ne servent plus que de barrière d'octroi, avec des postes (Zollhaus) où l'on perçoit les taxes sur les marchandises entrant dans la ville/


2- D'où vient le nom du "tank" qui, en anglais, signifie "réservoir", "citerne" ?
Pour tromper les espions allemands pendant la Première Guerre mondiale, les Anglais ont prétendu que la coque des blindés qu'ils étaient en train de construire étaient de simples
réservoirs d'eau (water tank).
Plus facile à employer que le terme officiel "machine à chenilles destructrice de mitrailleuses" proposé par le Comité de la défense impériale britannique fin 1915, le mot "tank" est resté..

 

3- Ces blindés de la gendarmerie nationale sont des engins à quatre roues motrices (et ne sont donc pas équipés de chenilles (Kette).


Avant le "Panzer" le français a emprunté - au milieu du XVIIIe siècle - la blende à l'allemand. Ce minerai, composé essentiellement de sulfure de zinc, contient souvent aussi du plomb et du cadmium.

Le terme "Blende", attesté depuis le XVIe siècle, désignait les minéraux qui, en raison de leur densité et de leur aspect brillant, laissaient espérer une forte teneur (Gehalt) en métal, comme le plomb. Espoir déçu, car les techniques d'exploitation de l'époque - extraction puis concentration (Verhüttungstechnik) - ne permettaient pas de les récupérer.

La blende était donc un minerai "trompeur" comme l'exprime son nom savant - la sphalérite - tiré du grec sphaleros (trompeur).

"Blende ist eine glintzernde Berg-Art, schwartz und auch gelb, so kein Metall führet, und offt den Bergmann blendet und betrügt", constatait Johann Heinrich Zedler dans son dictionnaire de 1733 (Grosses vollständiges Universal-Lexicon Aller Wissenschafften und Künste).


le gratin et la crème

 

"L'Icon of the Seas, nouveau plus grand paquebot (1) au monde, [a été inauguré le 23 janvier 2024], à Miami en grande pompe en présence de tout le gratin mondial de la croisière." (article)


Le gratin mondial de la croisière, ce sont les personnalités les plus importantes du secteur : opérateurs de croisières, armateurs, dirigeants de chantiers navals…

Mais pourquoi qualifier cette élite de "gratin" ?


Aujourd'hui, un gratin est une manière de cuisiner certains mets, en général en les passant au four. Au cours de la cuisson se forme une
croûte dorée, souvent composée de fromage, de chapelure (Paniermehl) et de beurre : le gratin est alors "gratiné" (überbacken).

Cependant ce sens-là n'apparaît qu'à la fin du XIXe siècle : auparavant, on appelait gratin ce qui restait "attaché" (angebrannt) au fond des casseroles après la cuisson. On grattait ce reste pour le déguster (s'il n'était pas trop brûlé), d'où son nom de "gratin".

Bizarrement, ce qui était au fond (du récipient), se retrouve sur le dessus (du plat doré au four) et finit par désigner la couche supérieure, l'élite d'un groupe social et ce (ou ceux) qu'il y a de meilleur dans un domaine particulier.


L'équivalent allemand "Creme de la Creme" (littéralement : Sahne der Sahne) reprend cette idée : elle s'inspire du processus de la fabrication de la crème fraîche et en particulier de l'écrémage (Entrahmung) qui consiste à séparer la crème des autres composants par chauffage et centrifugation du lait. Les particules les plus légères (les corps gras, donc la crème) se rassemblent au milieu et à la surface de la cuve de l'écrémeuse-centrifugeuse.


Cette "Creme de la Creme" qui sonne si français est en réalité un pseudo-gallicisme ! En français, on utilise d'autres expressions pour qualifier cette élite, ce gratin : c'est "la fine fleur" de qc, ou bien "le dessus du panier" (2),


Synonyme de "die Creme de la Creme", "die Hautevolee" est bien d'origine française mais n'existe pas comme substantif dans la langue de Molière. "Hautevolee" résulte de la substantivisation de la locution adjectivale "de haute volée". Cette dernière désigne une chose de grande qualité, ou quelqu'un dont le niveau (moral, intellectuel, mais pas forcément social) est élevé, en quelque sorte qui est bien au-dessus du sol, comme l'oiseau qui vole haut dans le ciel. (3)

Cette idée de "hauteur" se retrouve dans les expressions "die oberen Zehntausend", "höhere Kreise", "High Society" ou "Upperclass".

 

     Pour être au courant

 

1- le mot "paquebot" est la forme francisée du "packet boat", bateau qui transportait des "paquets" de courrier. Dans les années 1830, il se définit comme un "grand navire transocéanique de transport de passagers". Aujourd'hui, les paquebots - comme le "géant des mers" qu'est l'Icon of the Seas" - sont surtout destinés à des voyages d'agrément comme les croisières.

2- le dessus du panier : l'expression est apparue en opposition à la locution "le pis du panier" ("pis" au sens de ce qu'il y a de pire, et pas au sens de "pis (de vache)" / Euter !) "qui désignait les produits de moindre moindre qualité que les marchands disposaient au fond de leurs paniers pour les cacher à la vue de leur client." (définition de l'Internaute).


3- de haute volée ou de haut vol
- des juges de haute volée font partie de l'élite de leur profession ;
- des produits
de haute volée sont de grande qualité, haut de gamme (der Spitzenklasse, von höherer Qualität).

L'expression ne possède pas forcément une connotation positive :
-
des voleurs "de haute volée" ou "de haut vol" sont des truands (Ganove) de grande envergure (Kaliber), mais ce sont des "as" dans leur domaine !

Les expressions "de haut vol" et "de haute volée" ("der hohe Flug") viennent du vocabulaire de la "volerie" ou "chasse au vol" que le CNRTL définit comme la "capture, mise à mort d'un gibier (Wild) de toute nature, qui se fait avec des oiseaux de proie (Greif-, Beizvogel) et pour laquelle ceux-ci sont dressés à voler."

Dans ce contexte, le verbe "voler" (une perdrix, un faisan ou une bécassine...), terme de fauconnerie (Beizjagd), ne signifie pas "dérober qc" (rauben) mais "poursuivre un gibier en volant".


Attal, un ex de Ségur à Matignon

 

Matignon, Elysée, Ségur... : ces toponymes désignent, par métonymie, les hauts lieux du pouvoir et, par extension, leur occupant. A savoir la résidence du Premier ministre, celle du Président de la République (1). Le dernier, Ségur, est moins connu : c'est l'une des entrées du ministère de la Santé (avenue de Ségur à Paris, dans le 7ème arrondissement) où Gabriel Attal - devenu premier ministre le 9 janvier 2024 - a fait ses premiers pas en politique auprès de Marisol Touraine, ministre de la Santé (de 2012 à 2017), comme le rappelle "Le Quotidien du Médecin" (article).


Le ministère qui nous intéresse aujourd'hui, ce n'est pas "Ségur", mais
Matignon, siège du premier ministre, et ce, parce qu'il a un rapport avec l'Autriche.

Cet hôtel particulier (2) du XVIIIe siècle doit son nom à l’un de ses premiers propriétaires, Jacques III de Goyon, sire de Matignon.

Après avoir changé plusieurs fois de propriétaire (dont Jacques 1er Grimaldi, prince de Monaco, Talleyrand, Napoléon 1er, Louis XVIII...), il est acquis en 1852 par le duc de Galliera, homme d’affaires à la fortune immense. Après sa mort, sa veuve (lien) qui a des sympathies royalistes, héberge dans l’Hôtel - rebaptisé "de Galliera" - le comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe 1er et prétendant au trône de France, ainsi que sa famille, tous revenus d’exil après la chute du Second Empire en 1870.

Le comte de Paris y organise en 1886 une fête mémorable en l’honneur des fiançailles de sa fille aînée avec le prince héritier du Portugal. Aucun représentant du pouvoir français n’a été invité. Erreur diplomatique fatale qui, dit-on, serait la cause du vote d’une nouvelle loi d’exil : les prétendants au trône et tous les autres princes français doivent quitter le territoire national.


La duchesse de Galliera est profondément déçue de l’ingratitude du gouvernement français - alors qu’elle avait créé de nombreuses œuvres philanthropiques dans la capitale et qu’elle envisageait de léguer ses collections artistiques à la Ville de Paris. C’est pourquoi elle décide d’offrir son hôtel à l’empereur François-Joseph, pour en faire son ambassade.

En effet, après la mort de la duchesse, l’hôtel de Matignon devient le siège de l’ambassade d’Autriche-Hongrie et le reste pendant 25 ans, jusqu’au début de la Première Guerre mondiale où, considéré comme un bien ennemi, il est mis sous séquestre (beschlagnahmt) par le gouvernement français.

Après la guerre, la France rachète Matignon pour une somme assez modeste. En 1923, l'hôtel, son parc (le plus grand jardin privé de la capitale, avec près de 3 hectares !) et son pavillon de musique sont classés au titre des monuments historiques.

Depuis 1934, c’est le siège du chef du gouvernement (appelé "Président du Conseil" sous les IIIe et IVe Républiques, puis "Premier ministre" sous la Ve République).


Mais pourquoi la duchesse de Galliera a-t-elle offert ce magnifique hôtel particulier à l’empereur d’Autriche ? Par simple dépit (Verdruss) vis-à-vis de la France ? En réalité, elle avait des liens étroits avec l’Autriche. Enfant, elle avait accompagné son père, un diplomate génois, au Congrès de Vienne en 1814. Comme sa grand-mère s'est liée d'amitié avec l'ex-impératrice Marie-Louise d'Autriche, femme de Napoléon 1er, tout récemment réfugiée à Vienne, elle est reçue dans la famille impériale et a l'occasion de côtoyer le petit "Roi de Rome" ou Aiglon - appelé duc de Reichstadt en Autriche.


Mais ce n’est pas la seule raison de ce cadeau somptueux. Le fils de la duchesse, Filippo de Galliera, un Enfant terrible (3), a déclaré à la mort de son père qu’il refusait les titres et la plus grande partie de la fortune de sa famille. Ce que sa mère n’a pas pu accepter, c’est qu’il se fasse adopter par un noble autrichien d’ascendance française, Emmanuel de la Renotière, et qu’il ait pris son nom de famille ainsi que la nationalité autrichienne.

Pour faire annuler la procédure d’adoption, la duchesse de Galliera est intervenue auprès de l'empereur François-Joseph, lui promettant en échange l’Hôtel Matignon. L’annulation s’est révélée impossible, mais la duchesse est morte en 1888 sans avoir modifié son testament qui léguait Matignon à l’Autriche (4).

 

     Pour être au courant

 

1- Ce procédé stylistique est très répandu dans la presse française. Il permet en effet d’éviter les répétitions.

L’Assemblée Nationale est ainsi désignée par le lieu où elle siège, le Palais Bourbon,
ou bien la salle des séances elle-même,
l’Hémicycle.

Autres exemples :
- le
Quai d’Orsay pour le ministère des Affaires étrangères
- l’
Hôtel de Brienne pour celui de la Défense
- Bercy pour celui de l’Economie et des Finances
- Place Beauvau pour le ministère de l'Intérieur
- Place Vendôme pour celui de la Justice
- le 36, Quai des Orfèvres désignait la Police judiciaire (qui a déménagé en septembre 2017)

Le procédé est moins utilisé en Autriche. Parmi les expressions courantes, on peut citer :
-
la Hofburg désigne le siège de la présidence et le président de la République lui-même.
Ex. : "Die Hofburg hat sich zu dieser Angelegenheit noch nicht geäußert."
-
le Ballhausplatz désigne par métonymie le siège du gouvernement et donc les services du chancelier.


2- Hôtel particulier correspond en Autriche à "Palais". Par exemple, à Graz, les Palais Attems, Herberstein, Kollonitsch, Meran ou Saurau, pour n’en citer que quelques-uns.


3- Enfant terrible se dit en allemand... pour désigner (en général) un adulte, un excentrique, un provocateur, une personne qui ne se soumet pas aux conventions, aux règles établies.
En français, c'est un
enfant turbulent, insupportable, désobéissant.
Exemples :
Struwwelpeter, appelé "Crasse-Tignasse" ou "Pierre l'ébouriffé" (selon les traductions...) en français ; Fifi Brindacier (Pipi Langstrumpf) ou les "Enfants terribles" de Jean Cocteau, un frère et une sœur livrés à eux-mêmes après la mort de leur mère. (lien)


4- Jusque dans les années 1930 se trouvait au-dessus du portail principal de l’Hôtel de Matignon une plaque sur laquelle on pouvait lire "Hôtel de l’Ambassade d’Autriche-Hongrie".


valse des portefeuilles et jeu des chaises musicales

 

« Remaniement : Mathilde Panot [députée La France Insoumise] évoque un "jeu de chaises musicales" parce que "personne ne veut monter dans un bateau qui coule" (article) ».


Mercredi dernier, le 3 janvier 2024, le Conseil des ministres n'a pas eu lieu : un indice indubitable qu'un remaniement ministériel se prépare en France, assurent certains observateurs "bien informés". En réalité, personne ne sait si, quand, ni avec qui il pourrait avoir lieu...

Ce qui est sûr, c'est que l'expression "jeu des chaises musicales" revient dans la presse à chaque rumeur de remaniement (Regierungsumbildung) pour signaler que le nombre de "nouveaux venus" sera probablement faible, et que les ministres déjà en poste se contenteront de changer de ministère. C'est ce qu'on appelle en allemand "Stühlerücken".


Les remaniements ministériels sont parfois aussi qualifiés de "valse des portefeuilles" (1).

Pourtant, en Autriche, pays de la valse par excellence, on utilise un terme plus général - mais tout aussi dépréciatif et qui se réfère également à la danse - : der Sesseltanz.

L'autre équivalent, Ministerkarussell, exprime lui aussi l'idée de ronde (Ringelreihen), de cercle fermé et de manège (Karussell), au sens propre, mais aussi au sens figuré de "manigances, manœuvres" ("Schliche, Tricks").


Ces trois termes - valse des portefeuilles, Sesseltanz et Ministerkarussell - ont un point commun : le fait de
tourner en rond, au sens propre et au sens figuré. "Sich im Kreis bewegen, drehen" possède aussi le sens de "ne pas progresser, rester bloqué dans une situation dont on n'arrive pas à trouver l'issue" (trotz des Bemühens keine Fortschritte erzielen, nicht vom Fleck kommen, auf der Stelle treten).


A en croire la députée LFI, Mathilde Panot, le remaniement ministériel attendu sera limité, voire inopérant : cela n'avancera à rien et ne résoudra pas les problèmes auxquels est confronté le gouvernement actuel.

Faute de volontaires prêts à embarquer "dans un bateau qui coule" (le gouvernement, métaphoriquement comparé à un navire au bord du naufrage), ce sont les mêmes hommes politiques appartenant à un cercle restreint qui se succèdent les uns aux autres à la tête des ministères : le ministre de la Justice remplace celui de l'Economie et des Finances qui, lui-même, prend la place de celui de la Culture qui, à son tour, est nommé ministre de l'Agriculture, etc.


Ce "jeu des chaises musicales"
(2) remonterait au Moyen-âge, et pas à l'époque romaine, contrairement à ce suggèrent (avec un clin d'oeil) Goscinny et Uderzo (3).

Le jeu aurait en réalité une origine tragique et rappellerait l'hécatombe (Massensterben / Gemetzel) due aux Croisades : chevaliers et simples pèlerins partaient nombreux vers Jérusalem, mais succombaient les uns après les autres - à l'ennemi, aux pillards (Plünderer), à la famine et / ou à la maladie - avant d'atteindre leur destination. C'est pourquoi ce jeu s'appelle "Reise nach Jerusalem" en allemand.


Bien que reprenant l'idée de cercle, la comparaison entre le jeu des chaises musicales et le remaniement ministériel survenant dans un gouvernement est néanmoins un peu boiteuse (hinken) : contrairement aux joueurs, les hommes politiques ne sont pas éliminés l'un après l'autre, mais "recyclés" !

 

     Pour être au courant

 


1- portefeuille : dans ce contexte, le mot n'est pas employé au sens de Brieftasche, Geldbeutel, mais au sens de "maroquin" : (au sens propre) Mappe aus Saffianleder → (au sens figuré) Ministerposten, Ressort.


2- Règles du jeu des "chaises musicales" - Les joueurs marchent autour de chaises disposées en cercle pendant que de la musique est jouée ou diffusée, et doivent s'asseoir rapidement quand la musique s'arrête. Mais comme il y a une chaise de moins que de joueurs, celui qui ne trouve pas de siège est éliminé. On continue le jeu, en enlevant chaque fois une chaise, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'une... et le gagnant.


3- Dans "Astérix le Gaulois" (11 siècles avant les Croisades et les "voyages vers Jérusalem"), le centurion romain Caius Bonus veut envoyer un espion dans le village des Gaulois pour découvrir le secret de leur invincibilité. "Devant l'afflux (*) des volontaires, [il décide] de recourir aux chaises musicales pour désigner l'espion." Finalement, c'est Caligula Minus - rebaptisé Caligulaminix pour cette mission - qui est désigné par le sort et doit aller espionner la tribu d'Astérix et d'Obélix.

* "afflux" est employé ici par antiphrase puisqu'aucun des légionnaires - tous terrorisés à l'idée d'affronter les invincibles Gaulois - ne s'est porté volontaire pour cette mission dangereuse.

 


ostréi-tri

 

"L’association Coquilles a équipé la métropole bordelaise d’une trentaine de bacs de collecte •• Sammelbehälter •• de coquilles d’huîtres, jusqu’au 9 janvier. L’objectif est de sauver un maximum de coquilles de l’incinérateur •• Müllverbrennungsanlage ••, pour leur offrir une seconde vie." (article)

Concassées •• concasser : zermalmen •• , elles seront utilisées dans l'agriculture, à la place de la chaux •• Kalk •• , pour neutraliser l'acidité des sols, ou dans la fabrication d'une nouvelle sorte de béton coquillier •• Muschel- •• .


Avec ces poubelles destinées à recueillir les coquilles d'huîtres, Bordeaux serait-elle pionnière dans le tri sélectif des déchets •• Mülltrennung •• ?

Le véritable pionnier en la matière,auf diesem Gebiet, in dieser Sache c'est le Préfet de la Seine, Eugène Poubelle (1), qui, en novembre 1883 - il y a donc 140 ans - a signé un arrêté •• Verordnung •• relatif à l'enlèvement des ordures ménagères qui prévoyait de mettre à la disposition des Parisiens trois récipients spécifiques : l'un pour les "résidus des ménages", le second pour les "débris de vaisselle, verre, poterie, etc", et le troisième pour les "coquilles d'huîtres et moules" (2).


Ce n'était pas parce que les habitants de la capitale étaient de gros consommateurs de ces mollusques •• Weichtier •• , mais pour éviter que les chiffonniers •• Lumpensammler •• se blessent en fouillant dans les poubelles à la recherche de déchets réutilisables.

En effet, à la fin du XIXe siècle encore, tout - ou presque tout - était recyclé : même les boues •• Schlamm •• étaient récupérées •• sammeln •• dans les rues… par les "éboueurs" ou "boueux", qui ont conservé ce nom jusqu'à nos jours bien que leur métier se soit profondément transformé.

Les "boueux" existaient déjà en France au XVIIe siècle : à une époque où les chemins, rues et routes n’étaient pas asphaltés et souvent même pas pavés, le sol se transformait en boue lors des précipitations, inondations... Les éboueurs rassemblaient les boues, excréments et déchets qui jonchaient •• joncher qc : bedecken, herumliegen •• les rues - mais pas encore les ordures ménagères des particuliers •• Privatperson •• . Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les éboueurs étaient le plus souvent des paysans qui utilisaient ces résidus comme engrais et n’étaient pas rétribués •• rétribuer qn : entlohnen •• pour leurs services.


Jusqu'au début du XXe siècle, l'Autriche possédait un système comparable de nettoyage des voies publiques : ce sont des "
Mistbauer" qui récupéraient ces déchets pour les recycler dans leurs champs.

A Vienne, c'est seulement après la Première Guerre mondiale que la municipalité a organisé un système d'enlèvement •• Abfuhr •• des résidus ménagers. Le nom du conseiller municipal, chef des services techniques de la Ville et initiateur de cette réforme, Franz Siegel (lien), n'est cependant pas passé à la postérité (3) pour désigner les boîtes à ordures viennoises qui ont été appelées "Koloniakübel" - ou "Colonialkübel".

Pourquoi "Colonia" ? Ce nom n'a pas un rapport direct (4) avec les "colonies" (ni, bien sûr, avec l'eau de Cologne...), mais vient du fait que Vienne s'est inspirée du modèle de ramassage des ordures mis en place par la ville de Cologne.

 

     Pour être au courant

 


 

1- Eugène Poubelle a également organisé le système de tout-à-l'égout •• Kanalisation •• dans la capitale en 1894.


2- L'arrêté du Préfet a été vivement critiqué par de nombreux élus parisiens, et les récipients destinés à recueillir les déchets coquilliers n'ont été en service que pendant quelques mois. L'opposition a obtenu en partie gain de cause •• obtenir gain de cause :gewinnen, sich durchsetzen ••  avec la suppression de cette collecte spécifique.

Quant à la "boîte Poubelle" - comme elle est baptisée •• nennen •• dans un article du Figaro dès sa mise en service •• Inbetriebnahme •• le 15 janvier 1884 - elle est vite appréciée par les Parisiens, surtout par les locataires puisque la fourniture •• Beschaffung •• de ces récipients à ordures était à la charge •• être à la charge de qn : von jm zu tragen sein •• des propriétaires.


3- Un nom propre devient nom commun : ce procédé est appelé antonomase.
- C'est le cas de la
poubelle, imaginée par Eugène Poubelle,
- du
sandwich, que nous devons à Sir John Montagu, comte de Sandwich, amiral de la flotte de George III,
- de la
guillotine, inventée en 1789 par Joseph Ignace Guillotin, député du Tiers état •• der dritte Stand •• et médecin, pour que les exécutions soient "moins barbares",
- et de bien d'autres comme le
kir, la béchamel, le godillot •• Soldatenstiefel •• , le macadam •• Teermakadam •• , le judas... •• Türspion ••


4- Köln a été fondée en 38 avant J.-C. par Agrippa sous le nom d'Ara Ubiorum (littéralement : "autel (du peuple) des Ubiens"). Elle est devenue ville de droit romain ("colonia civium Romanorum") en 50 après J.-C. Parmi les colonies romaines, Cologne est la seule à avoir conservé ce nom qui rappelle son rang juridique particulier.


des couteaux suisses, çà et là...

 

"De nombreux clichés - d’ailleurs souvent faux - collent à la peau des seniors et freinent leur employabilité. Pourtant, ils sont de véritables couteaux suisses." (article)


Victimes de nombreux préjugés de la part des employeurs, les plus de 50 ans
(1) possèdent cependant de nombreux atouts qui pourraient être profitables à l'entreprise : flexibilité, "aisance relationnelle, résistance au stress, leadership, fidélité", énumère l'auteur de l'article, qui ajoute : "ils ont davantage envie d'être stimulés par leurs missions plutôt que par leur rémunération. Ils ne sont pas obsédés par l'argent".


Il n'est pas nécessaire d'avoir fait son service militaire dans l'
armée helvétique pour connaître le fameux "couteau suisse". Cet instrument est répandu dans le monde entier ! (2)

Cependant, c'est effectivement pour être utilisé dans l'armée suisse qu'il a été conçu à la fin des années 1880, non pas comme arme, mais pour ouvrir les boîtes de conserve, couper les aliments et dévisser / revisser des pièces du fusil. A l'origine, il possède une seule lame, mais déjà plusieurs accessoires : un ouvre-boîte, un tournevis plat et un poinçon (Stichel). (3)

C'est au moment de la Deuxième Guerre mondiale qu'il devient vraiment populaire, lorsque les soldats américains le découvrent lors de leur séjour en Europe et l'adoptent.

Peu à peu, le couteau s'est enrichi d'autres lames et d'autres outils : cure-dent (Zahnstocher), décapsuleur (Flaschenöffner), pincette, paire de ciseaux, thermomètre, tournevis cruciforme (Kreuzschlitz-Schraubenzieher), tire-bouchon (Korkenzieher) (4)...

Récemment, le couteau suisse a été doté de nouveaux accessoires : altimètre, lampe de poche, pointeur laser, montre, stylo, clé USB.


C'est cette
multifonctionnalité, ce côté à la fois ingénieux et pratique de l'objet qui est à l'origine de l'expression figurée "c'est un véritable couteau suisse" pour qualifier une personne polyvalente (vielseitig), qui a de multiples talents et compétences.


Parmi les équivalents allemands
Alleskönner, Multitalent, Universalgenie, Allrounder (pas vraiment allemand...), ou Allround-Dilettant (légèrement ironique...), Wunderwuzzi (plutôt autrichien...), nous retiendrons Tausendsassa, ne serait-ce que parce que le mot possède une étymologie en partie française.


"
Tausendsassa" apparaît au XVIIIe siècle. Si sa première partie est évidente ("tausend", un préfixe hyperbolique, se rapporte à la multitude de talents, aux "mille" qualités de la personne), la deuxième composante l'est moins, d'autant plus qu'elle a été déformée : ce "sa sa" s'écrivait "çà, çà !" à l'origine.

Cette interjection (hierher!) était un cri lancé par les chasseurs, en particulier lors d'une chasse à courre (Hetzjagd), pour appeler les chiens et / ou les encourager à se lancer sur la piste du gibier. Il s'agit en effet de l'adverbe de lieu "çà" (écrit avec un accent grave) et pas du pronom démonstratif "ça" (abréviation familière de "cela"). 

Dérivé du latin populaire "ecce hac" (par ici), il signifiait "ici, vers cet endroit-ci" en ancien français. Il ne s'utilise plus aujourd'hui que dans les locutions "çà et là" (ici et là), ou "de çà…, de là" (d'un côté, de l'autre) pour exprimer la dispersion, l'éparpillement.


Un
Tausendsassa est non seulement un "multi-talent", polyvalent, mais parfois aussi un original, voire un excentrique, quelqu'un qui est peu conventionnel. Cependant, alors que l'expression "couteau suisse" possède une connotation positive et souligne l'ingéniosité (Findigkeit), "Tausendsassa" peut aussi avoir un sens légèrement péjoratif et être l'équivalent du "touche-à-tout" (5) français, qui fait souvent preuve de dilettantisme et qui est, selon la définition du CNRTL, une "personne  qui a de multiples centres d'intérêt touchant à des domaines variés et qui les aborde superficiellement, de manière dispersée". Une définition dans laquelle on retrouve l'idée d'éparpillement (Verzettelung) exprimée dans les locutions formées avec "çà".

 

 

     Pour être au courant

 


1-
50 ans, c'est l'âge fixé par l'INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) comme "seuil de la séniorité".


2- Au Japon, [à la mi-décembre 2023] un homme a été condamné par un tribunal d'Osaka pour le port d'un couteau suisse : la justice a considéré qu'il transportait un objet dangereux et lui a infligé une amende (eine Strafe verhängen) de 9900 yens (environ 60 francs suisses).


3- Aujourd'hui, le célèbre couteau est produit par l'entreprise "Victorinox", nom composé de "Victoria" (prénom de la mère de l'industriel Karl Elsener) et "inox" (pour "acier inoxydable").


4- Notons au passage
- que
le tire-bouchon est produit à Apprieu (en Isère) par l'entreprise Bonpertuis ;
- que les couteaux militaires suisses ne comportent jamais cet accessoire. Est-ce pour
combattre l'alcoolisme ? Pourquoi sont-ils alors équipés d'un décapsuleur qui permet d'ouvrir les bouteilles de bière ?


5- Jean Cocteau (1889-1963), poète, peintre, dessinateur, dramaturge et cinéaste, évoque ce "touche-à-tout" et invente le néologisme "touchatouisme" dans son discours de réception à l'Académie française, le 20 octobre 1955.  S'adressant à l'illustre assemblée, il déclare :  "Messieurs, vous adoptez un poète sans craindre qu'on ne vous fasse reproche d'avoir accepté un touche-à-tout, un homme orchestre, un Paganini du violon d'Ingres, formule par laquelle je me suis plu à traduire une idée naïve de notre époque dont la hâte exige des étiquettes et qui consiste à prendre pour touchatouisme cette manière propre au poète de toucher un même objet sous différents angles et éclairages."

 


brakka : un mot djeun' qui vient de loin...

 

 

"Brakka" vient d'être désigné "österreichisches Jugendwort des Jahres" (mot de l'année chez les jeunes en Autriche), par 3 896 voix sur 18 218. Utilisé à l'origine comme synonyme de "pantalon", il peut aujourd'hui désigner tout et n'importe quoi : des objets et même des humains !

Le mot a été popularisé chez les jeunes par l’intermédiaire des - vous l'aurez deviné… - réseaux sociaux et en particulier de TikTok.


La plupart des utilisateurs de ce mot ignorent certainement sa provenance : malgré la présence des deux "k", il n'est
pas d'origine germanique, mais celtique.

Vous connaissez sûrement le "pantalon" porté par les habitants du village des "irréductibles Gaulois", celui dont sont vêtus Astérix - en version unie et rouge - et Obélix - un modèle à rayures verticales bleues et blanches (verticales car "tout le monde sait que c'est dans le sens vertical que les rayures amincissent !" affirme Obélix dans "La Rose et le Glaive" - 1991).

Eh bien, ce pantalon, ce sont des braies, appelées bhrāg-ikā en gaulois, un mot vraisemblablement dérivé de la racine indo-européenne *bhrg - qui signifie "casser", et qui a donné "break" en anglais, "brechen" en allemand, "brèche" en français… (1)

Dans ce cas précis, le verbe est employé dans le sens de "diviser", "séparer" : en effet, contrairement à d'autres vêtements comme la robe ou la toge, le pantalon sépare les deux jambes.


Portées par les Gaulois et les Germains, les braies sont une sorte de
pantalon resserré aux chevilles - ou au-dessous du genou, selon les régions et le climat - par une lanière et retenu à la taille par une ceinture. Ce n'était pas un vêtement spécifiquement masculin : les braies pouvaient être portées aussi bien par les hommes que par les femmes ou les enfants, par la noblesse comme par les simples paysans.


Considéré à Rome comme "barbare", ce pantalon gaulois a pourtant été adopté par les Gallo-romains (2). Et, dès le début de la conquête de la Gaule, il a été aussi adopté sous le nom de "bracae" ou "braccae" (3) dans l'armée romaine, surtout chez les fantassins (ainsi mieux protégés du froid)  et dans la cavalerie (où il est plus facile d'enfourcher un cheval avec un pantalon qu'avec une "tunica" ou un "sagum").


Pendant le haut
moyen-âge, on a continué à porter des braies, mais comme sous-vêtement (une sorte de caleçon / lange Unterhose) caché sous les robes longues, dont étaient alors vêtus aussi bien les hommes que  les femmes.

Au XIVe siècle, les robes sont devenues si courtes que "quand ils se baissaient pour servir un seigneur, (beaucoup) montraient leurs braies et ce qui était dedans à tous ceux qui étaient derrière eux." (Paulin Paris, Les Grandes Chroniques de France conservées en l'église de Saint-Denis - 1837. Cité dans Wikipédia).


Nous voilà revenus en 2023 : les braies / brakka, qui avaient disparu depuis des siècles, sont revenues à la mode grâce à TikTok… Dans l'univers Tiktok,
un mème (Meme) chasse l'autre… (5). Parions que les brakka ne tarderont pas à retomber dans les oubliettes (in der Versenkung verschwinden, in Vergessenheit geraten).


     Pour être au courant

 


1- De l'étymon gaulois bhrāg-ikā dérivent les termes suivants qui signifient également pantalon :
"briogais" en gaélique écossais, "bragoù" en breton, "brycan" ou "brogau" en  gallois ; "broek" en néerlandais.
En français, l'étymon gaulois a donné non seulement les
braies, mais aussi la braguette (Hosenschlitz) (Wikipedia) et l'adjectif "débraillé", qui signifie aujourd'hui "dont les vêtements sont en désordre" (unordentlich gekleidet).


2- Les Romains appelaient "Gallia braccata" (la Gaule en braies) la partie des Gaules située entre Rhône, Garonne et Pyrénées (les premières provinces conquises), par opposition à la "Gallia togata" (la Gaule en toge) qui correspondait à la Gaule Cisalpine, c'est-à-dire située du côté "romain" des Alpes) (lien).


3- La forme celtique bhrāg-ikā est probablement arrivée en latin par l'intermédiaire de l'étrusque, ce qui explique le phénomène de syncope (chute d'un segment à l'intérieur d'un mot, en l'occurrence de la syllabe "g-i") : en effet, en étrusque, on ne distinguait pas les sons "g" et "k".


4- Ce raccourcissement des robes s'accompagne peu à peu de l'apparition d'un nouveau vêtement, les chausses (Beinling) qui viennent couvrir les braies.


5- Le proverbe "un clou chasse l'autre" (der / das eine kommt, der / das andere geht) signifie qu'une chose (ou une personne) succède à une autre, l'évince (verdrängen, vertreiben) et la fait oublier. Nous devons cette expression à Cicéron : Novo amore veterem amorem, tanquam clavo clavum, ejiciendum putant (Ils pensent qu’un nouvel amour doit remplacer un ancien amour, tout comme un clou chasse l’autre) - in "Tusculanes", IV (lien).

  FrAu ModJo - 2024

 

Une question à poser ou un commentaire à faire ?   Précision - Les mots traduits
figurent sous leur forme de base :
infinitif pour les verbes ;
singulier pour les substantifs ;
masculin singulier pour les adjectifs.

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