1- le leurre
2- Brigitte Bardot, le barda et la hallebarde
3- ein blaues Wunder

ein blaues Wunder…

Der Triumph der FPÖ ist historisch, aber ein blaues Wunder ist er nicht” (article)

Annoncée depuis des mois par les sondages, la victoire du parti libéral (FPÖ) aux législatives autrichiennes n’est pas une surprise. Mais elle est historique : c’est la première fois que le parti remporte le plus grand nombre de sièges au Nationalrat, et que les deux grands partis “républicains” (ÖVP et SPÖ) ne disposent pas ensemble d’une majorité stable dans cette assemblée.

Ein / sein blaues Wunder erleben, c’est avoir une drôle de surprise. “Drôle”, dans le sens de “mauvais/e, désagréable”, et pas “amusant/e, cocasse” !

L’expression est connue depuis le début du XVIe siècle et, à cette époque, le bleu possède une connotation négative : c’est la couleur du mensonge, de la tromperie. On retrouve cette association d’idées dans d’autres expressions comme das Blaue vom Himmel herunterlügen / versprechen” (demain, on rase gratis (1), mentir comme un arracheur de dents (2), ou “jemandem blauen Dunst vormachen” (jeter de la poudre aux yeux à qn).

Ces expressions se réfèrent à l’écran de “vapeur bleue“ utilisé par les illusionnnistes pour cacher leurs tours de passe-passe et mystifier les spectateurs, en “embrumant” leurs sens. (3)

Quelqu’un qui se laisse facilement tromper, qui est naïf et inexpérimenté, est “blauäugig”, innocent comme les bébés, qui ont en général les yeux bleus à la naissance.

On retrouve en français cette relation entre la couleur bleue, la naïveté, et – par extension – la tromperie :
un bleu, c’est une jeune recrue, inexpérimentée, un novice ;
être fleur bleue, c’est être à la fois naïf et sentimental ;
n’y voir que du bleu, c’est ne s’apercevoir de rien, se laisser facilement tromper.

Cette dernière expression, qui date de 1837, fait référence aux Contes bleus, publiés dans la “Bibliothèque bleue” dès le début du XVIIe siècle. Ces recueils de contes, pleins de sorcières, de revenants, de personnages fantastiques, étaient des “histoires à dormir debout”, ce qu’on appelle en allemand des Ammenmärchen (littéralement : contes de nourrice).

C’est aussi de ces petits livrets à la couverture bleu gris que vient l’expression – aujourd’hui vieillie – en dire des bleus, c’est-à-dire raconter des sornettes, (af)fabuler.

Pour en revenir aux dernières élections législatives, rappelons que le bleu, c’est la couleur du FPÖ, comme le rouge est celle des socialistes, ou le vert, celle des écologistes…


Pour être au courant


1- demain, on rase gratis
: l’expression vient de l’histoire d’un barbier qui avait affiché sur la vitrine de sa boutique “Demain, on rase gratis“. Mais il ne tenait jamais sa promesse, car il laissait la pancarte tout le temps. Il n’y avait donc jamais de jour gratuit !

2- mentir comme un arracheur de dents : (lügen, dass sich die Balken biegen; lügen wie gedruckt). L’arracheur de dents – souvent plus charlatan que dentiste – était un forain qui s’installait sur la grand-place et “opérait” son patient sans anesthésie, tout en lui promettant : “Vous verrez, vous ne sentirez rien. Ça ne fait pas mal !” Ce qui était bien sûr un gros mensonge. Les cris du malheureux patient étaient couverts par des roulements de tambour !

3- Selon une autre explication, l’expression “blaues Wunder” viendrait du domaine de la teinturerie et plus particulièrement du travail des indigotiers qui, comme leur nom l’indique, teignaient les étoffes à l’indigo. Le tissu sortait du bain d’indigo avec une couleur verte mais, sous l’effet de l’oxydation, elle virait au bleu pendant le séchage. Cette hypothèse est peu convaincante : l’obtention de la couleur bleu indigo était l’objectif recherché par les teinturiers et en aucun cas une mauvaise surprise !

Brigitte Bardot, le barda et la hallebarde

L’ancienne actrice, reconvertie dans le combat pour la défense des animaux avec sa FFB (fondation Brigitte Bardot), fête le 28 septembre 2024 son 90ème anniversaire.

En tant que défenseur de la cause animale, elle porte un nom prédestiné : en effet, un bardot (1) est un animal hybride, résultat de l’accouplement d’un étalon et d’une ânesse.

Bardot, mule et mulet ont un point commun : ce sont des bêtes de somme (2), c’est-à-dire qui sont utilisées pour transporter de lourdes charges. C’est d’ailleurs cette fonction qui explique le nom du bardot. Il est dérivé de “barde”, mot féminin qui désigne d’abord une couverture de laine grossière qui couvre le dos d’un âne pour amortir la charge qu’il porte, puis le bât ou la selle qui est posé/e dessus. Le terme vient de l’arabe barda’a et a été emprunté lors de la première croisade en Palestine, à la fin du XIe siècle.

Le mot barda (3), d’abord orthographié berdâa (attestation en 1848) et désignant le lourd équipement que devaient porter les soldats sur leur dos, vient lui aussi de l’arabe, mais a été emprunté beaucoup plus tard, lors de la conquête de l’Algérie par les troupes françaises (à partir de 1830). Le terme est aujourd’hui synonyme de chargement encombrant et hétéroclite.

Selon certains lexicologues et généalogistes, le patronyme Bardot pourrait également dériver du nom de personne germanique “bardo” qui vient de la racine “bart / barta” qui désignait la hache d’armes, un mot qu’on retrouve en héraldique avec “Barte” (illustration). C’est également cette racine qui est à l’origine de “helmbarte” (littéralement “hache avec long manche”) → HellebarteHellebarde, soit hallebarde en français.

Troisième hypothèse, le nom de famille Bardot viendrait de la racine germanique “bard” qui signifie “géant”.

Malgré l’engagement de Brigitte Bardot en faveur de la défense des animaux – des bébés phoques aux bardots -, les deux origines germaniques sont plus vraisemblables que la première explication étymologique, étant donné que sa famille paternelle est originaire de Lorraine, plus précisément de la Meuse, depuis au moins le milieu du XVIIe siècle.

Pour être au courant


1-
ne pas confondre
– le bardot (= Maulesel), résultat du croisement entre cheval et ânesse,
– avec la mule (femelle) ou le mulet (mâle) (= Maultier) qui, eux, résultent du croisement entre une jument et un âne.

2- la bête de somme = Lasttier, Saumtier. “Somme” (mot féminin) et “Saum” dérivent du bas-latin ”sauma”, variante de “sagma” (le bât).
C’est également de cette racine que vient le sommelier qui, à l’origine et orthographié “saumalier”, était le conducteur des bêtes de somme, avant de devenir l’officier chargé de la garde et du transport des bagages dans les voyages de la Cour, puis la personne qui, dans la maison d’un grand personnage, a la responsabilité du linge de table, de la vaisselle, de la nourriture et des vins et, enfin (au début du XIXe siècle), celui / celle qui, dans un restaurant, a la charge de la cave, des vins.

3- Pendant la Première Guerre mondiale, le barda des Poilus pesait dans les 35 kilos. A cela il fallait rajouter le fusil, des cartouches et des grenades, un casque, un bidon de 2 litres d’eau et un autre d’un litre pour le “pinard”, ainsi que la musette, portée en bandoulière, et contenant – entre autres – de la nourriture pour trois jours, une gamelle, une couverture, du linge de rechange, et quelques objets personnels.

4- la hallebarde (avec un “h aspiré” trahissant son origine germanique) est une arme médiévale de taille et d’estoc – d’origine allemande ou suisse, importée en France vers la fin de la Guerre de Cent Ans – et comportant une longue hampe en bois terminée par une pointe de lance et munie de deux ailes, l’une en bec de corbin (un crochet en forme de bec de corbeau), l’autre en forme de hache d’arme. (illustration : différentes formes de hallebarde).

De nos jours, elle n’est plus utilisée que comme arme de parade, dans la Garde suisse pontificale, chez les Yeomen Warders de la Tour de Londres ou dans la marine nationale française.

Leurre

80 ans du Débarquement en Normandie : le leurre de l’opération « Fortitude »

« Durant la Seconde Guerre mondiale, le camp des Alliés a mis en place une opération visant à tromper la défense du camp ennemi. Baptisé Fortitude, le piège – une fake news avant l’heure – visait à faire croire qu’un débarquement aurait lieu en 1944 dans le Pas-de-Calais plutôt qu’en Normandie » (pour en savoir plus).

Un leurre est une sorte d’attrape-nigauds ou de miroir aux alouettes. Quand il est attesté pour la première fois, au début du XIIIe siècle, le mot désigne un « morceau de cuir rouge en forme d’oiseau, garni de plumes, servant à faire revenir l’oiseau sur le poing du fauconnnier. C’est donc un appât, destiné à tromper le rapace dressé pour la chasse et le détourner de sa proie.
Le « pigeon » de l’histoire, la dupe (1), ce n’est pas une alouette, mais un oiseau de proie faucon pèlerin, épervier, buse, autour ou aigle

C’est seulement au XVIIe siècle que le mot « leurre » acquiert le sens figuré plus général et négativement connoté que nous connaissons aujourd’hui : « artifice dont l’apparence séduisante est destinée à tromper ».

Leurre vient de l’ancien bas francique lôþr (appât) qui a donné en ancien moyen haut allemand luoder (même sens) et en allemand moderne Luder. Dans le jargon des chasseurs, Luder possédait la même signification que son équivalent français : une attrape pour faire revenir l’oiseau de proie et l’empêcher de dévorer sa proie.
Puis le mot a pris le sens de cadavre ou charogne : ainsi les protecteurs de la nature aménagent des « Luderplätze » pour attirer les animaux sauvages carnivores – à poils et à plumes – afin de les observer ou de les nourrir. Mais cet emploi du mot Luder reste cantonné au domaine de la chasse.

En allemand moderne – depuis la fin du XXe siècle – Luder désigne plus couramment une garce – ce qu’on appelait autrefois une « femme de mauvaise vie », « ein liederliches (2) Frauenzimmer ». On en répertorie de nos jours plusieurs variantes : Partyluder (Partygirl), Boxenluder (grid girl, qui fréquente les circuits de Formule 1), Promiluder… Ces jeunes (le mot ne s’applique jamais aux vieilles dames…) personnes ont la réputation de jouer de leurs appas pour séduire – de préférence – des hommes riches et célèbres.

Comment est-on passé de la charogne à la garce, la débauchée ? La raison de ce glissement de sens n’a pas été élucidée par les lexicologues germanophones.

Tout s’explique en français où les mots appât (Köder) et appas (Reize) ont la même origine : ils viennent tous deux du verbe appâter (attirer par de la nourriture… qui n’est pas forcément de la pâtée, lui-même dérivé du latin pascere (nourrir), tout comme le verbe paître.

Pour être au courant


1- dupe
: une « dupe », c’est quelqu’un qui se laisse facilement tromper. Ce mot vient de la huppe, un oiseau dont la tête est coiffée d’une touffe de plumes érectiles. Il passe pour un animal niais et qui se laisse facilement attraper. Enlever la huppe de cet oiseau, le « dé-hupper » (contracté en « duper »), c’est donc le « plumer » (au sens propre, et au sens figuré de dépouiller, spolier).
Se laisser duper, c’est aussi se faire prendre pour un pigeon : cet oiseau étant plus courant que la huppe, cela explique l’évolution de la locution.

2- liederlich n’a rien à voir avec le mot Lied (chant) : l’adjectif est synonyme de débauché.

3- la garce : féminin de « gars », n’a pas toujours possédé le sens péjoratif qu’on lui connaît aujourd’hui. Le mot a désigné successivement une adolescente (le pendant féminin du « garçon » au XIIIe siècle), puis une compagne hors mariage et, finalement, une femme de mauvaise vie, une fille ou une femme méchante et désagréable : vache, chameau, chipie.