Mille millions de mille sabords !

« C’est un massacre à la tronçonneuse. Le sabordage de notre industrie automobile. (…) Comme sur le nucléaire, si l’Union européenne ne bouge pas maintenant et ne renonce pas à ses normes destructrices pour l’industrie automobile européenne, elle pleurera demain sur son aveuglement d’aujourd’hui, estime la directrice de l’iFrap,  Agnès Verdier-Molinié. » (article)

« Mille millions de mille sabords ! » se serait exclamé le Capitaine Haddock pour manifester sa colère. (1)
Avec « Tonnerre de Brest » (2), ce juron est l’un des préférés du Capitaine, un vieux loup de mer bougon, qui partage les aventures de Tintin et Milou, imaginées par Hergé.
Rien d’étonnant à cela puisque ces deux expressions viennent du domaine de la marine.

Mais qu’est-ce qu’un « sabord » et quel rapport cela a-t-il avec le « sabordage » redouté par la directrice de l’iFrap ?
On trouve des sabords sur les navires de guerre du XVe au XVIIIe siècle. Ce sont des « ouvertures quadrangulaires pratiquées dans la muraille d’un navire de guerre. Les sabords sont destinés à laisser passer le fût des canons pour tirer sur l’ennemi. Ils peuvent aussi être utilisés pour laisser un passage aux rames ou avirons, ou tout simplement pour éclairer les entreponts et / ou les aérer.

Cette ouverture est située au-dessus de la ligne de flottaison. Hors utilisation, et surtout par gros temps, le sabord est fermé par un volet étanche. Sur les gros bateaux, on trouve parfois plusieurs rangs de sabords.

L’apparition du mot « sabord » en français (au tout début du XVe siècle) est liée à l’importance croissante de l’artillerie à poudre (dans la deuxième moitié du XIVe siècle) dans les combats navals.
Les premières pièces d’artillerie, encore légères, étaient installées sur le château avant ou gaillard d’avant.
Devenus de plus en puissants, et par la même occasion plus lourds, les canons ont une grande influence sur le centre de gravité et donc sur la stabilité du vaisseau : c’est pour cela qu’on les a placés sur les flancs du navire (3), et le plus bas possible pour ne pas le déséquilibrer. Il a donc fallu ménager des ouvertures dans ses flancs pour permettre le passage des fûts de canon et des boulets !

Saborder un navire, c’est le couler volontairement en créant une voie d’eau : ouverture de vannes ou de sas, création d’un trou dans la carène à l’aide d’explosifs ou d’outils. Ou bien, sur les bateaux de guerre d’autrefois – comme l’indique l’étymologie – en ouvrant les sabords situés en dessous de la ligne de flottaison.

Le but de cette opération auto-destructrice ?
Eviter que le navire tombe aux mains de l’ennemi et que l’équipage soit capturé. Ou bien se débarrasser d’une cargaison suspecte, par ex. en cas de piraterie ou de trafic illicite. Ou encore obstruer un passage, par l’exemple l’accès à un port. Ou même se débarrasser d’un bateau en fin de vie (la solution du démantèlement et du recyclage des matériaux, plus éco-responsable, est aujourd’hui privilégiée).

Il s’agit donc là d’une action délibérée. Le « sabordage de l’industrie automobile européenne » dénoncé par Agnès Verdier-Molinié est, selon elle, un choix politique calamiteux (au sens propre du terme : « qui annonce de grandes calamités, des catastrophes).
En faisant le choix de généraliser le véhicule électrique et de le rendre exclusif à partir de 2035 – pour des raisons environnementales (ou autres…?) – l’UE sacrifie un secteur majeur de son économie : l’automobile.

En allemand, « Selbstversenkung » (absichtliche Vernichtung des eigenen Wasserfahrzeugs durch Untergang) traduit bien l’action de couler volontairement un bateau, mais il ne s’emploie pas au sens figuré d’auto-destruction, de sabotage délibéré.

Pour rester à la fois dans le domaine de la marine et celui de l’automobile, on peut proposer « Torpedieren » comme équivalent de « sabordage » (4)
En français, également, on pourrait dire que l’UE « torpille » son industrie automobile : au sens figuré, le verbe « torpiller » signifie en effet « ruiner de façon sournoise un projet, une entreprise, le / la faire échouer « .

Pour être au courant

1a– Comme les quelque 200 autres jurons du capitaine Haddock, ce n’est pas une invention de Hergé. En effet, « Mille sabords » est déjà attesté au XIXe siècle. La version « hergéenne », tantôt employé avec « millions », tantôt avec « milliards », est simplement une forme hyperbolique du juron déjà connu.

1b- On n’utilise pas l’apostrophe devant le nom propre Hergé dont le « h » n’est pas muet : c’est un pseudonyme forgé à partir de l’initiale du nom de famille « Remi » et du prénom « Georges » de l’auteur des aventures de Tintin. (Mais cette règle est controversée)

2- « Tonnerre de Brest » est une expression populaire qui vient d’un orage d’une violence exceptionnelle qui a frappé la région de Brest (Finistère / Bretagne) dans la nuit du 14 au 15 avril 1718. Mais c’est le Capitaine Haddock qui l’a popularisée !
L’explication selon laquelle l’expression se référerait aux coups de canon qui signalaient autrefois l’évasion des forçats du bagne de Brest (comme ceux du Château d’If qui ont signalé celle d’Edmond Dantès…) semble bien être une légende.

3- Le terme « sabord » est apparenté à l’allemand « Bord » – Schiffsplanke, – seite – qui désigne le flanc, le côté du navire. Il est donc de la même famille que « babord » (côté gauche du navire quand on regarde la proue = Backbord) et « tribord » (côté droit du navire = Steuerbord).

4- « Torpiller / torpedieren«  se réfère à la fois au domaine de la navigation et de l’automobile.
En effet, « torpille / torpedo » (nom de la torpille en anglais, en allemand, et – en français – jusqu’au début du XXe siècle) est :
– non seulement un engin sous-marin chargé d’explosif, destiné à frapper un navire ou un sous-marin,
– mais la torpédo / der Torpedo était aussi un modèle de voiture décapotable et commercialisé à partir de 1910. Elle doit son nom à sa carrosserie allongée, plus aérodynamique, inspirée par la forme des carènes de bateau, et à sa vitesse (toute relative) de 65 km/h.
L’engin de guerre, lui, doit son nom à la torpille ou le torpedo : ce poisson plat a la particularité de produire de l’électricité pour se défendre, ou pour étourdir ses proies et les capturer plus facilement. La décharge électrique peut atteindre 220 volts !

la « gréviculture » à la française

« La France est championne européenne des jours de grève. De 2010 à 2019, on comptait en moyenne 127,6 jours de grève par an pour 1000 employés en France, contre 17,3 en Allemagne, 2,1 en Autriche. (…) Entre décembre 2019 et janvier 2020, les 36 jours de grève intersyndicale contre la réforme des retraites avaient atteint un coût, pour l’économie française, de 1,8 milliard d’euros. »  (statistiques IFRAParticle)

En février 2024, une proposition de loi du groupe centriste du Sénat visait à appliquer en France la méthode italienne : instaurer des périodes de 15 jours maximum où le Gouvernement pourrait interdire les grèves dans les services publics et les transports.
Éric Ciotti, président de l’Union des Droites pour la République, dénonce la « gréviculture » française et vient d’annoncer son intention de déposer une nouvelle proposition de loi pour interdire les grèves durant certaines périodes, en particulier pendant les vacances de Noël.

Les plus anciennes grèves connues ont eu lieu dans l’Egypte pharaonique, vers 2558 av. J.-C. : des esclaves du chantier de construction de la pyramide de Khéops se sont mis en grève pour protester contre la diminution, puis la suppression de l’ail dans les rations de nourriture. Contrairement aux travailleurs d’aujourd’hui, ils ne pouvaient pas réclamer une augmentation de salaire puisqu’ils n’étaient pas payés ! (1)

Pourquoi ce rappel historique ?
Parce qu’il existe un lien étymologique entre le mot « grève » et le sable du plateau désertique de Gizeh où ont été construites les célèbres pyramides.
En effet, « grève » vient du gaulois « grava » qui désigne du sable grossier… ou un gravier très fin. Par extension, il en est venu à désigner un bord de mer ou la berge d’un fleuve couvert/e de ce sable / gravier, et en pente douce.

C’est la raison pour laquelle, à Paris, au XIIe siècle, la rive basse (2) où étaient déchargées des marchandises transportées sur la Seine a pris le nom de « grève ». Ce lieu d’accostage est devenu le premier port de la ville. Et, tout naturellement, c’est à proximité que s’est installé un marché sur une place qui a pris le nom de Place de Grève. C’est aujourd’hui la Place de l’Hôtel-de-Ville (3).

C’est sur cette place de Grève que les hommes à la recherche de travail se regroupaient, dès l’aube, espérant se faire embaucher pour la journée afin de charger et décharger les bateaux. Quand un travailleur se retrouvait au chômage, il se « mettait en grève », c’est-à-dire qu’il se rendait sur la Place de Grève pour chercher un emploi. Ce lieu d’embauche était donc un loin ancêtre de Pôle emploi (l’équivalent de l’AMS autrichien).

Le sens du mot « grève » a évolué au début du XIXe siècle lorsque les ouvriers mécontents de leurs conditions de travail ont pris l’habitude de se réunir sur cette place, non pas pour y trouver un emploi, mais pour protester. Aujourd’hui, la grève se définit comme une « cessation collective, volontaire et concertée du travail », à l’opposé de son sens médiéval, à savoir la recherche d’un emploi.

Comme le mot grève – qui désigne, à l’origine, une rive couverte de gravier où peuvent accoster les bateaux -, l’allemand Streik possède un lien avec la navigation.
Le mot a été emprunté (vers 1810) à l’anglais strike, lui-même dérivé du germanique strikwjan qui a donné streiken et streichen.

En 1768, une révolte de marins éclate à Sunderland, un port alors très important, situé dans le comté du Tyne and Wear (Nord-est de l’Angleterre). Pour protester contre leurs mauvaises conditions de travail, ils montent à bord de plusieurs bateaux ancrés dans le port et, suivant leur mot d’ordre « strike the sails », ils carguent (4) les voiles, empêchant ainsi les navires de prendre le large. C’est ce qu’on appelle en allemand « die Segel streichen », au sens propre du terme (5).

La même année, le terme « strike » (verbe et substantif) est utilisé lors de cessations de travail dans les mines de charbon galloises, ainsi que chez les chapeliers londoniens. Ils maintiennent leur mouvement de grève jusqu’à obtenir la satisfaction de leurs revendications : une augmentation de salaire et une amélioration de leurs conditions de travail pénibles et dangereuses. (6)

Avec l’arrivée sur le continent de la Révolution industrielle – et des conflits qu’elle engendre dans le monde du travail -, le mot « strike » se répand dans différents pays (7) et se germanise en « Streik ».
Le français, lui, a conservé le mot d’origine gauloise : grava s’est transformé en grève.

Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, le terme « grévicullture », péjoratif, ne date pas du XXIe siècle. Défini comme « l’habitude de recourir à la grève comme mode de négociation entre patronat et salariés », il est attesté depuis au moins l’année 1900 (c’est-à-dire la fin du XIXe siècle !) (cf. Gallica)

Pour être au courant

1- Dans « Astérix et Cléopâtre« , les esclaves égyptiens se mettent en grève, non pas pour réclamer une augmentation (de salaire), mais une diminution… du nombre de coups de fouet.

2- Les berges de la Seine n’ont été aménagées qu’à partir du XIVe siècle. Auparavant, les rives étaient souvent marécageuses et inondées en temps de crue, comme le rappelle le nom du Marais parisien, situé le long de la rive droite du fleuve (3ème et 4ème arrondissements actuels).

3- Si la Place de Grève a changé de nom, c’est que cela rappelait des souvenirs sanglants. Entre 1310 et 1832, elle a été le théâtre d’exécutions en tout genre : les condamnés y ont été brûlés, décapités, écartelés, étranglés, pendus, roués… C’est sur cette place qu’ont été exécutés Ravaillac (qui a assassiné Henri IV en 1610) et Damiens (qui a tenté de tuer Louis XV en 1757). C’est là aussi qu’a eu lieu la première exécution par guillotine, en 1792, une procédure beaucoup trop expéditive au goût des nombreux spectateurs, qui regrettaient les anciens supplices, plus « raffinés ».

4- carguer les voiles : les replier, les attacher contre les vergues ou contre le mât, par le moyen des cargues.

5- « die Segel streichen » a ensuite signifié : au cours d’une bataille marine, « baisser pavillon, mettre pavillon bas » pour indiquer que l’on se rend à l’ennemi. Il a pris ensuite le sens plus général de « céder et se reconnaître inférieur à la personne avec qui l’on est en concurrence ou en contestation. »
Comme l’anglais « to strike », streichen signifie aussi frapper un coup, un sens que l’on retrouve dans le substantif « Streich » :
– « ein Staatsstreich » est un coup d’État,
– « ein böser Streich » (une spécialité des garnements Max et Moritz) est un mauvais coup,
– quant au « Petit Tailleur » des contes de Grimm, il se vante d’avoir tué 7 mouches d’un seul coup : « sieben Fliegen auf einen Streich ».

6- La pénibilité et la dangerosité du travail dans les mines sont bien connues. Les chapeliers, eux, étaient exposés aux vapeurs hautement toxiques du mercure dissous dans de l’acide nitrique, un mélange utilisé pour traiter les peaux de castor dont on faisait à l’époque des chapeaux de qualité. Le personnage du « Chapelier fou » (der verrückte Hutmacher / the Mad Hatter) imaginé par Lewis Carroll en est l’illustration.

7- l’anglais « strike«  a donné : strejke (danois), strejk (suédois), streik (norvégien), shtrajk (croate), straik (polonais), sztrájk (hongrois).
Le portugais, de son côté, utilise le terme « greve » (ils sont en grève : eles estão em greve).

gaga or not gaga ?

Essayez de taper « gaga » dans la barre de recherche de Google : parmi les soixante premiers articles proposés (je ne suis pas allée plus loin que la page 6…), 57 se réfèrent à la célèbre « Lady » du même nom. En 23ème position arrive l’annonce d’un spectacle humoristique « 100 % gaga » au Mazet-Saint-Voy (je vous laisse le soin de chercher dans quelle région est situé ce charmant village…). A la 29ème place, on trouve un article sur « Emmanuel Macron, gaga de ses chiens Jules et Jeanne » (2 lévriers qui lui ont été offerts lors de son voyage officiel au Kazakhstan…). Mais rien sur le gâtisme qui se définit comme « l’état d’une personne, généralement âgée, atteinte d’affaiblissement physique et/ou intellectuel ».
En allemand, l’adjectif gaga (emprunté au français) signifie essentiellement « farfelu, dingue, barjo », comme le spectacle du Mazet-Saint-Voy et le duo d’humoristes. Le sens de « senil, trottelig, vertrottelt » est signalé comme « rare » et / ou « vieilli ».
En ce qui concerne l’article sur les nouveaux pensionnaires à quatre pattes de l’Elysée, il ne semble pas que le journaliste soupçonne le président de sénilité. Dans ce contexte, l’adjectif « gaga » signifie « victime d’une passion au point d’en perdre toute mesure et d’en être stupide », ce qui correspond à l’allemand « in etw. vernarrt sein ».

Mais d’où vient le nom de Lady Gaga ? A-t-il un rapport avec la sénilité, la folie ou une grande passion qui rend stupide ? Ou même avec le caca ? Cette dernière hypothèse n’est pas si farfelue que cela, d’une part en raison de la ressemblance phonétique de ces deux mots et d’autre par parce que le premier sens attesté de « gaga » ou « gâteux » est « qui est atteint d’incontinence d’urine ou des matières fécales et, par suite, gâte ses draps et ses vêtements. » (1)

Stefani Germanotta, née en 1986, a adopté le nom de scène « Lady Gaga » en hommage à l’idole de sa jeunesse, Freddy Mercury, chanteur du groupe de rock Queen qui, en 1984, a sorti une chanson intitulée « Radio Gaga ».
Le texte de cette chanson, écrit par Roger Taylor, est une critique de la mauvaise qualité des stations de radio de l’époque qui passent en boucle les mêmes chansons et sont de plus en plus commerciales.
En réalité, le titre de la chanson était à l’origine « Radio caca » : ce nom a été inspiré à Roger Taylor par son fils Félix, alors âgé de trois ans et dont le mot préféré était « caca » (2). C’est bien aux excréments que se réfère le petit garçon qui parle la langue de Molière car sa maman est française.

En anglais, « caca » ne possède pas le même sens scatologique qu’en français (3) Cependant, la maison de disques craint un scandale dans les pays francophones et demande à Queen de modifier le titre de la chanson : c’est ainsi que « Radio Caca » se transforme en « Radio Gaga » (4).
Un titre qui inspirera, 22 ans plus tard, son nom d’artiste à Stefani Germanotta.

Conclusion : l’adjectif « gaga » (au sens de « sénile, retombé en enfance » et, par extension de « fou, dingue » ou « entiché de ») tout comme le nom de Lady Gaga ont un rapport avec le substantif « caca » :
– le premier en raison de l’incontinence dont souffrent parfois les personnes atteintes de sénilité ;
– le second en raison de l’ignorance (?) de la chanteuse américaine qui a choisi le pseudonyme « Lady Gaga » sans vraiment connaître la genèse du titre de la chanson de Queen.

Pour être au courant

1- En ancien français, le verbe « gaster » signifie « user, gaspiller » mais aussi « répandre un liquide ».
La forme pronominale « soi gaster » signifie « se souiller » (sich beschmutzen, besudeln).

2- « Pipi, caca, prout… » sont les mots préférés des enfants de cet âge, en pleine « phase anale ».
« Caca » est attesté en français au sens d’excréments, matières fécales, déjections, selles, au début du XVIe siècle. Il est dérivé du latin « cacare » (chier).

3- En anglais, « gaga » (attesté seulement à partir du début du XXe siècle) possède le sens de
– « foolish » : dingue, déjanté, cinglé,
– « infatuated » : entiché de qc / qn, enthousiasmé par qc ou qn.  Exemple : she is gaga about golf.
Contrairement au français, il ne signifie pas « gâteux, sénile ».

4- Ce que beaucoup ignorent, c’est que, si le titre a été modifié, les paroles, elles, sont restées les mêmes. « Si vous écoutez attentivement, vous entendez « All we hear is Radio Caca », explique Brian May, cofondateur et guitariste du groupe Queen, dans une interview accordée à RTL France en 2015. (article)

5- Le « pain caca » – Pendant la Première Guerre mondiale, les Français se moquaient du « pain caca » allemand (alors qu’ils n’étaient guère mieux lotis que leurs ennemis en ce qui concerne l’alimentation). En allemand, c’est le KK-Brot, abréviation de Kriegskartoffelbrot : un pain à base de pommes de terre, devenu l’aliment de base Outre-Rhin pendant la Première Guerre.
En effet, en 1914, l’Allemagne dépend des importations pour un bon tiers de son approvisionnement en nourriture. Aussi le pays est-il frappé durement par le blocus imposé par les Alliés.
« Besser K Brot als kaa Brot ! » (Mieux vaut du pain de guerre que pas de pain) – Alors que la propagande allemande vante les mérites de ce pain, « sain et nourrissant », la contre-propagande française ironise : « Le pain KK, c’est pour les Boches. Car pour nous, il est trop moche ! « 
Par contre, il paraît qu’il était tout à fait utilisable comme pâte à modeler ! (article)

point barre !

“À travail égal, salaire égal, point barre !
La question ne devrait même plus se poser.”
Elisabeth Degryse, ministre-président de la
Communauté française de Belgique [depuis
juillet 2024], défend l’égalité des revenus. (article)

Point barre !” signifie qu’il n’y a pas à discuter : tout a été dit, il n’y a rien à rajouter ! L’expression sert à balayer d’avance toutes les objections.

Elle se traduit en allemand par Ende der Diskussion! Schluss damit! Und damit basta! (1) Ou, pour rester dans le domaine de la ponctuation, mais c’est une expression peu courante en Autriche : Jetzt mach mal einen Punkt!

On aurait aussi pu dire “point tiret” puisque l’expression fait référence au signe de fin de transmission d’un message morse, à savoir “ . – ” (2)

Ainsi, “point barre” peut aussi se traduire par Ende der Durchsage – pour rester dans le domaine de la communication, puisque l’expression est utilisée pour indiquer la fin d’une annonce publique (par radio, télévision ou haut-parleur) : l’information a été transmise, la communication est terminée, et le destinataire n’a pas voix au chapitre !

Le principe de l’égalité salariale entre hommes et femmes ne devrait plus faire l’objet de discussions. Point barre !

Pour être au courant

1- L’interjection italienne basta (assez, genug) a été empruntée en allemand dès le XVe siècle. En italien et en espagnol, le verbe bastare signifie “suffire, être assez”. Il vient du bas-latin bastare : porter, d’où supporter, en faire assez.
En anglais, point barre se traduit par period!
En espagnol, on utilise cruz y raya! (croix et tiret).

2- L’alphabet Morse (attribué à l’Américain Samuel Morse – mais probablement inventé par son assistant Alfred Vail en 1832) est un codage de caractères qui fixe pour chaque lettre ou chiffre une combinaison de signaux (brefs et longs, ou points et tirets) intermittents. C’est en quelque sorte le précurseur des communications numériques binaires.
Le patronyme anglais Morse est considéré comme une variante de Morris (Maurice en français) et n’a donc rien à voir avec le mammifère marin du même nom.

Le nom français de l’animal viendrait d’une onomatopée lapone morssa et serait arrivé en français et dans d’autres langues romanes par l’intermédiaire des langues slaves (ex.: le russe morž).
– Ainsi, le morse est nommé morsa en espagnol et en portugais, morsă en roumain.
– Un “cheval-baleine” ! Le nom allemand de l’animal est, lui aussi, d’origine nordique : le vieux norrois hrossvalr a donné – entre autres – hvalross en norvégien, walrus en anglais, Walross en allemand…
– En italien, il s’appelle tricheco, un nom qui se réfère aux nombreux poils de moustache (ou vibrisses) de sa lèvre supérieure, et qui vient du grec thríks, trikhós (cheveux). 

inaugurer les chrysanthèmes

Depuis la rentrée, Emmanuel Macron cherche sa place. Lui qui aimait s’occuper de tout, gouverner autant que présider, il est désarçonné. Il a perdu les élections, il a confié Matignon à Michel Barnier, il est affaibli. Que lui reste-t-il ?
[En 1965, lors d’une conférence de presse « historique »], de Gaulle lançait : « Qui a jamais cru que le général de Gaulle, étant appelé à la barre, devrait se contenter d’inaugurer les chrysanthèmes ? » La phrase est restée célèbre.
Emmanuel Macron n’est pas de Gaulle. Mais comme lui, il ne veut pas inaugurer les chrysanthèmes. Le voilà donc tourné vers le reste du monde, la francophonie, la diplomatie. Qu’on se le dise : à l’étranger, la France, c’est toujours lui. » (article)

Se contenter d’inaugurer les chrysanthèmes, c’est être placé à un poste honorifique ou prestigieux, sans toutefois disposer de véritables pouvoirs pour modifier le cours des choses.

L’expression est surtout utilisée dans le domaine politique pour désigner un chef d’État dont le rôle est essentiellement protocolaire ou de représentation, tandis que la réalité du pouvoir est assurée par une personne officiellement subordonnée, comme un Premier ministre.

Parlant de lui-même à la troisième personne, le Général de Gaulle rappelle que, revenu au pouvoir en 1958, il n’avait pas l’intention de se cantonner à un rôle strictement représentatif mais qu’il possédera une véritable autorité. Et ce, contrairement aux présidents des IIIe et IVe Républiques qui, selon lui, passaient leur temps à des activités protocolaires, comme déposer des gerbes de fleurs sur divers monuments, en particulier les monuments aux morts, d’où les chrysanthèmes. (vidéo de l’INA)

Fleurir les monuments aux morts avec des chrysanthèmes est une tradition typiquement française. Elle remonte au 11 novembre 1919, premier anniversaire de l’armistice, lorsque Raymond Poincaré, président de la République, propose que l’on fleurisse les tombes des soldats morts durant la Grande Guerre.

Si les chrysanthèmes ont été choisis, c’est parce qu’ils fleurissent en automne et sont capables de résister aux premières gelées. Comme la date de l’Armistice (11 novembre) et celle du Jour des Morts (2 novembre) sont proches, les Français ont pris l’habitude de déposer à cette date des chrysanthèmes sur les tombes de leurs défunts. Avant, les sépultures étaient plutôt décorées de bougies.

Autres pays, autres moeurs

Le chrysanthème n’est pas partout dans le monde associé au deuil et au souvenir des morts.
– En Autriche, même si, comme en France, il décore les tombes à la Toussaint, c’est aussi une fleur que l’on cultive dans les jardins, sur les balcons, et que l’on offre en bouquet, ce qui est plutôt rare dans l’Hexagone.
– En Extrême-Orient, le chrysanthème jaune symbolise la longévité.
• Ainsi, au Japon, c’est le symbole de la famille impériale : l’empereur Naruhito occupe actuellement le « trône du chrysanthème ».
• En Chine, son nom signifie « essence du soleil ». On l’utilise en soupe et en infusion, et ses pétales décorent de nombreux plats.
– Aux Pays-Bas, on trouve souvent cette fleur dans des compositions florales pour les mariages.
– En Australie, où le mois de novembre se situe au printemps, c’est la fleur qu’on offre le plus fréquemment pour la fête des Mères, probablement à cause de son nom anglais, « chrysanthemum », dont la dernière syllabe rappelle « mum », maman.

En réalité, son nom est composé de deux mots grecs « chrusos » (or) et « anthemis » (fleur).

Ce sont probablement des gerbes de ces « fleurs d’or » (qui existent d’ailleurs dans toute une gamme de couleurs) que le président Macron déposera sur la Tombe du Soldat inconnu, le 11 novembre 2025, sous l’Arc de Triomphe de Paris. Donc, il « inaugurera les chrysanthèmes ». (Illustration : le Président Millerand devant la Tombe du Soldat inconnu, entourée de couronnes de chrysanthèmes, le 1er novembre 1921).