Le Prix de la Carpette anglaise

Depuis 1999, l’Académie de la Carpette anglaise décerne « un prix d’indignité civique à un membre des élites (économiques ou politiques) françaises qui s’est distingué par son acharnement à promouvoir la domination de l’anglais en France et dans les institutions européennes au détriment de la langue française. »

En 2024, c’est la Conférence des évêques de France qui a remporté ce prix pour avoir mis en œuvre le projet « Holy Games » (1), « un programme d’accueil et d’accompagnement pastoral » des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, que l’on pourrait traduire par « les jeux saints » ou « sacrés » – une formule que des esprits malveillants pourraient transformer en « sacrés jeux ! »

En 2021, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne était la lauréate du Prix spécial du jury à titre étranger, pour avoir décidé, seule, de promouvoir l’anglais au rang de langue unique de travail de la Commission, au détriment des autres langues européennes et, notamment, de la langue française, en dépit du Brexit (2).

Mme von der Leyen est une « récidiviste  » : en 2014, alors qu’elle était ministre allemande de la Défense, elle s’est vu attribuer le Sprachpanscher des Jahres – l’équivalent du Prix de la Carpette anglaise – pour avoir pour avoir prononcé son discours en anglais lors de la 50ème Conférence sur la sécurité à Munich.

Comme le Prix de la Carpette, le Sprachpanscher des Jahres, créé en 1997 sous le nom de « Sprachschuster (3) des Jahres » dénonce « die Sprachverhunzung (…), das Vermanschen des Deutschen mit dem Englischen zu einem Pidgin-Dialekt namens Denglisch ».

Le verbe « panschen » (trafiquer, frelater) vient du français « panacher » (4) qui signifie mélanger.
Das Panschen (le terme français exact est « adultération », un mot de la même famille que l’adultère) est une pratique frauduleuse qui consiste à ajouter un produit de moindre valeur à un autre produit, par exemple l’ajout d’huile de colza dans l’huile d’olive vierge première pression… ou de glycol dans certains vins autrichiens (lors du scandale de 1985).

Le Sprachpanscher condamne donc le comportement de ceux qui dénaturent la langue allemande en la panachant avec des mots de globish, créant ainsi une sorte de dialecte pidgin, un sabir nommé Denglish – équivalent du franglais – ou qui, carrément, préfèrent cet anglais planétaire et rudimentaire à leur propre langue.

Pourquoi les défenseurs de la langue française ont-ils baptisé cette distinction « Prix de la Carpette anglaise » ?

Carpette, mot franco-anglo-français (5), désigne non seulement un petit tapis, un objet posé sur le sol qui est donc piétiné et qui sert parfois de paillasson, mais aussi – au sens figuré – une personne lâche qui s’aplatit servilement, qui se soumet, autrement dit un Kriecher, un lèche-bottes, un rampant, celui qui pratique laplaventrisme ! Cette attitude indigne est aussi appelée « lécher la carpette ».

Le Prix de la Carpette anglaise dénonce donc un comportement d’auto-soumission culturelle à l’anglais.

Pour être au courant

1- Sur le site https://holygames.fr, on trouve les informations suivantes : « Les Jeux vécue (sic) dans l’esprit des JMJ –
Durant les Jeux, Holy Games a mobilisé plus de 300 jeunes venues (sic) de toute la France pour animer les paroisses, en apportant sa joie à cette (sic) évènement planétaire ! »
Finalement, il aurait peut-être mieux valu que les textes soient rédigés en globish !

2- Le Royaume-Uni, qui a quitté l’UE le 1er février 2020, est le seul pays européen dont la langue est l’anglais. En effet, l’Irlande a déclaré le gaélique comme langue officielle, et Malte, le maltais.

3- « Schuster » se traduit, au sens propre, par « cordonnier » et, au sens figuré, par « bousilleur », « gâcheur », « saboteur », équivalent de « Pfuscher », celui qui fait du mauvais travail.
Le mot « gniaf » (CNRTL) possède également ces deux sens : « Schuster » + « Pfuscher ».

4- Le verbe « panacher » signifie à l’origine orner de diverses couleurs. En effet, le panache est un bouquet de plumes, souvent de différentes couleurs, utilisé comme ornement, par ex. sur un casque. Le mot dérive du latin pinna (la plume).

Un panaché est un verre de bière coupée de limonade, autrement dit un Radler. Les Autrichiens apprécient surtout le Almradler, un mélange de bière et de Almdudler (boisson gazeuse aromatisée aux herbes des montagnes).

5- Carpette est un mot « franco-anglo-français » :  après avoir traversé la Manche (très tôt, probablement dès le XIe siècle, lors de la Conquête normande de la « Bretagne » insulaire), il est revenu en France quelques siècles plus tard avec une prononciation et une orthographe quelque peu déformées, et avec un sens modifié.

Carpette, attesté en français sous la forme « carpite » au XIIe siècle, désignait un tissu d’ameublement épais, une tenture ou un tissu pour faire des vêtements d’apparat. Transformé par les Anglais en carpet, avec le sens de tapis de table ou de lit, il a été « rapatrié » en France au milieu du XIXe siècle dans le sens de petit tapis mobile : par exemple une descente de lit ou un tapis de couloir.

L’ancien français « carpite » dérive du bas latin « carpire » qui signifie « déchirer, lacérer », une idée que l’on retrouve dans le mot « charpie », de même origine. « Mettre qc en charpie » se traduit par « zerfetzen, in Fetzen zerreißen ».

🍒 La cerise sur le gâteau
En 2019, c’est une filiale du groupe La Poste qui a remporté le Prix de la Carpette anglaise pour avoir dénommé sa banque mobile « Ma French Bank ».
Circonstance aggravante, sa campagne publicitaire était truffée de franglais. Un exemple : « When elle rêve d’eaux turquoises (sic), but ton compte is in le rouge »,
ou encore « When tu check la liste de everybody qui te doit de la money » (d’après ALF : Avenir de la Langue Française).

Cordon sanitaire et mur pare-feu

«L’Autriche envoie un avertissement au reste de l’Europe, car les désaccords entre les partis établis ont rendu inopérante la tactique du cordon sanitaire. Continuer de faire de la politique ‘comme avant’ ne fonctionne plus, les règles ont changé. Comme on a pu le constater à Vienne, les partis du camp démocratique au sens large ne sont plus disposés à faire des concessions dans le cadre de négociations de coalition à seule fin de sauver la démocratie des forces radicales.» (article)

L’expression « cordon sanitaire » est attestée pour la première fois en 1821 : la France envoie 30 000 soldats à la frontière franco-espagnole avec pour mission officielle d’empêcher l’épidémie de fièvre jaune qui sévit à Barcelone d’atteindre le territoire français.
En réalité, cette opération a pour but d’empêcher les idées « révolutionnaires » espagnoles de se répandre en France. En effet, l’Espagne de Ferdinand VII est – de 1820 à 1823 – une monarchie constitutionnelle beaucoup plus libérale que celle de Louis XVIII : la « Restauration » des rois Bourbons est bel et bien un rétablissement de l’ordre ancien, de l’Ancien régime.

Dès son apparition, l’expression est utilisée à la fois au sens propre (sanitaire) et au sens figuré (politique) du terme. Sous prétexte d’empêcher la transmission d’une maladie contagieuse, on fait barrage à la propagation des idées jugées dangereuses pour le régime monarchique réactionnaire dans lequel les députés « ultras » de la Chambre parlementaire (la fameuse « Chambre introuvable » (1)) « sont « plus royalistes que le roi ».

Deux siècles plus tard, la stratégique du « cordon sanitaire » politique, est reprise pour empêcher la propagation d’idées jugées « non républicaines », pour « faire barrage » aux partis qui n’appartiennent pas à « l’arc républicain », pour construire une « digue républicaine » contre la vague déferlante de l’extrême-droite. En effet, ce « cordon-barrage-digue-front républicain » vise essentiellement à écarter du pouvoir le Rassemblement National – ex Front National.

En Autriche, cette vague est « bleue », la couleur du parti libéral, le FPÖ. Et la presse internationale constate – que ce soit pour le déplorer ou s’en réjouir – que « la tactique du cordon sanitaire » est devenue « inopérante » (voir l’article ci-dessus) contre la montée de l’extrême-droite.

La presse allemande (ou du moins une partie) s’inquiète d’une possible contagion alors que des élections législatives auront lieu le 23 février 2025 :

« Die „Brandmauer” gegen Rechts scheint mit der Machtzunahme rechtspopulistischer Parteien überall in Europa immer mehr zu bröckeln . »
« Jetzt ist die Stunde der Wahrheit gekommen. (…) Die politische Brandmauer ist in Österreich eingestürzt . »
« Lehren aus Österreich: Fällt auch in Deutschland die Brandmauer? »
« Wahl in Österreich: Brechen jetzt auch in Deutschland die Brandmauern? »
« CDU und AFD: Hält die Brandmauer nach der Öffnung in Österreich? »

Ce « Brandmauer » érigé contre l’AfD (Alternative für Deutschland), le parti d’extrême droite est l’équivalent du « cordon sanitaire, c’est un « pare-feu ».

Le « mur » sera-t-il plus solide que le « cordon », le « front », le « barrage » ou la « digue » ?


Pour être au courant


1-
La Chambre introuvable : c’est Louis XVIII qui lui aurait donné ce qualificatif : « introuvable » parce que plus loyaliste à l’égard du trône qu’il aurait pu le rêver lui-même. On dirait aujourd’hui, dans un langage moins châtié : « plus royaliste que les ultras, tu meurs ! »

l’arsenic, c’est bon pour tout

Attention, lecture dangereuse ! Après l’Allemagne, qui a mis en quarantaine quelque 15.000 titres en mars dernier, la Bibliothèque nationale de France (BnF) annonce avoir retiré quatre livres de ses étagères pour le même motif : la présence d’arsenic sur leur couverture, leur tranche, mais aussi leur page de garde. (…) cette substance toxique [appelée « vert de Paris » ou « vert de Schweinfurt »] était utilisée entre les années 1790 et 1880 en raison de la couleur verte qu’elle donnait aux ouvrages. (article)

La bibliothèque universitaire de Graz est confrontée au même problème : environ 10 % des livres de cette époque qui ont été testés contiennent de l’arsenic. Les responsables ont cependant décidé de ne pas retirer ces ouvrages de la consultation : en effet, ce poison (1) n’est dangereux que lorsqu’il est au contact de l’eau ou de l’humidité. Ils conseillent néanmoins aux utilisateurs de la bibliothèque de prendre des précautions, comme le port de gants, lorsqu’ils manipulent les livres en question. (lien)

L’utilisateur « moyen », lui, court peu de risque d’être empoisonné. D’ailleurs, c’est bien connu, « tout est poison ; la dose seule fait que quelque chose n’est pas un poison », comme l’affirmait déjà Paracelse (né en Suisse en 1493 – mort à Salzbourg en 1541), médecin-chirurgien, philosophe et théologien.

Tout dépend donc de la quantité ingérée, mais peut-être aussi de l’accoutumance au poison, ce que l’on appelle la mithridatisation. Cette technique – qui consiste à ingérer des doses croissantes d’un produit toxique afin de s’immuniser contre ses effets – doit son nom au roi Mithridate VI. (2)

Selon la légende, ce monarque expérimentait le dosage des poisons sur des condamnés avant d’en absorber lui-même, afin de se prémunir contre les tentatives d’empoisonnement de ses ennemis. Résultat : battu par Pompée, il n’a pas réussi à se suicider par le poison et a dû se faire tuer par un mercenaire. Peut-être la dose avalée était-elle trop faible : en effet, Mithridate avait – généreusement – partagé le poison avec deux de ses filles. (3)

C’est l’arsenic qui nous ramène en Autriche : en 1855, un article publié dans une revue scientifique a attiré l’attention du monde médical sur les arsenicophages autrichiens.
L’auteur, M. de Tschudi de Vienne, considérait que, loin d’être toxique, l’arsenic était un « véritable réparateur de la santé », et il expliquait que son usage était particulièrement répandu chez les paysans de Styrie, appelés pour cette raison Hedribauer (de Hidrach, ou Hüttenrauch, acide arsénique).
Ils utilisaient ce poison comme mort-aux-rats, mais ils le mélangeaient aussi à la nourriture des animaux domestiques (chevaux, bovins, cochons) pour leur donner plus d’énergie et une apparence d’animal bien nourri, afin d’en tirer le meilleur profit quand ils les vendaient. Cette pratique était courante chez les maquignons qui dopaient les chevaux à moindre coût avec ce produit qui leur donnait en outre un poil lisse et brillant. (4)

Chose encore plus étrange, les paysans consommaient eux-mêmes cette « cocaïne du pauvre » qui stimulait leur énergie, « facilitait la respiration pendant la marche ascendante », ou l’utilisaient par coquetterie.

Voici un cas rapporté par M. de Tschudi : « Une jeune vachère, bien portante d’ailleurs, mais maigre et pâle, et craignant pour cela d’être délaissée par son amant, (…) prit de l’arsenic plusieurs fois par semaine. Le résultat désiré ne se fit point attendre : l’embonpoint, la fraîcheur, apparurent bientôt, et la jouvencelle devint potelée, joufflue, bref, tout au gré du jouvenceau, qui lui resta fidèle. Néanmoins, elle crut pouvoir encore ajouter à ses charmes, et elle força la dose ; mais la malheureuse imprudente (…) mourut victime de sa coquetterie. » (lien)


Pour être au courant

1- Le mot poison dérive du latin potio, potionis : à l’origine il désignait une boisson, un breuvage quelconque avant de signifier potion, breuvage médicinal. Ce n’est qu’au XIVe siècle qu’il a pris le sens de breuvage empoisonné ou magique, comme le philtre.

2- Mithridate, roi du Pont et du Bosphore, n’est pas un personnage de légende : il a vécu au 1er siècle avant Jésus-Christ.

3- Mithridate a fait des émules, du moins dans la littérature : le Comte de Monte-Cristo, héros d’Alexandre Dumas, manie lui aussi poisons et antidotes. Dans le roman « 813 » de Maurice Leblanc, Arsène Lupin, mithridatisé par l’absorption régulière de substances toxiques, n’hésite pas à déguster sous les yeux de son adversaire des biscuits empoisonnés – à l’arsenic, bien sûr, comment pourrait-il en être autrement, vu son prénom (arsenic = Arsen) !

4- L’arsenic était tout à la fois mort-aux-rats, dopant pour le bétail, cocaïne du pauvre, produit de beauté et anti-âge
Arsen war das Kokain der armen Leute, der Roß- und Holzknechte. (…) Aber mehr noch: Arsen galt auch als Schönheitspulver, als Anti-Aging- und Dopingmittel für Pferde. Und es kam als Rattengift zum Einsatz. (lien)

le nougat dans tous ses états

« Des goûts et des couleurs, on ne discute pas ».
Ce proverbe semble bien confirmé par les préférences concernant le nougat, une confiserie particulièrement appréciée en ces jours de fêtes de fin d’année. (1)

En France, les fans du nougat de Montélimar s’opposent aux inconditionnels (dont je fais partie) du nougat de Sault !
Car tous les nougats ne se ressemblent pas ! (2)
Cette confiserie typique des pays du bassin méditerranéen peut être blanc (dans cette version, les blancs d’œuf sont montés en neige ) ou noir (sans blanc d’oeuf).
Les ingrédients (3) qu’il contient sont aussi variés que son nom.

Nougat, touron ? Pourquoi ces deux noms ?
– Le mot « nougat » vient du latin « nucatum » qui désigne une fabrication à base de noix. En effet, avant la diffusion de la culture de l’amandier (4), les noix étaient l’ingrédient de base dans la confection du nougat.

– Le mot « touron » (et donc le turrón espagnol et le torrone italien) vient du catalan dialectal « torró » – qui n’a rien à voir avec le taureau et l’art de toréer : il vient du latin « torrere » (carboniser ou rôtir), un verbe dont sont également issus « torréfier », « torréfaction » → torréfaction du café. « Touron » se réfère donc à l’utilisation de fruits à coque (noix, noisettes, amandes…) grillés. (5)

Un nougat « nātif » de Bagdad
Le torrone italien, traditionnellement confectionné avec des amandes grillées, se décline en différentes versions selon les régions :
– A Venise, il est appelé mandolata et contient – comme son nom l’indique – des amandes.
– En Sicile et en Calabre, on déguste de la giurgiulena qui combine miel, sucre et graines de sésame, avec parfois des écorces d’orange confites. Son nom vient de l’arabe gulgulān, qui signifie sésame.
– A Malte, il s’appelle qubbajt, un nom d’origne arabe, lui aussi.
– Le halva grec, très sucré, contient des pistaches, du tahini (crème de sésame), un sirop de sucre, de la mélasse ou du miel. Il est parfois aromatisé à la vanille. Son nom vient du persan halva, un mot qui exprime l’idée de sucré, de douceur.

L’origine arabe ou persane du nom de ces dernières sortes de nougat rappelle qu’il est né au Moyen-Orient, plus précisément à Bagdad au Xe siècle, sous le nom de nātif.

Avec la conquête arabe, il s’est répandu jusque dans l’ouest de la Méditerranée via l’Egypte, al-Andalus (Andalousie, sud de l’Espagne), puis la Catalogne et le Sud de la France.

En 1555, dans son « Livre des confitures », Nostradamus mentionne une recette de « pignolat », nougat blanc aux amandes. Son nom est un calque du catalan « pinyonat », un nougat qui, comme son nom l’indique, contient des pignons de pin.

Le mot « nogat », lui, est attesté pour la première fois en 1595 dans un livre de pharmacie : cet usage médicinal semble prouver que la confiserie n’était pas encore très répandue. Le mot reste orthographié ainsi, sans « u », jusqu’au début du XIXe siècle.

Et le « Nougat » autrichien ? S’il n’a pas été mentionné dans cette liste, c’est qu’il ne s’agit pas d’un nougat au sens français du terme !
Le mot désigne en allemand une sorte de praliné, à base de poudre de noix, noisettes ou amandes grillées, avec du sucre et du cacao. C’est donc un faux gallicisme. En Autriche, ce qui correspond à peu près au nougat français, c’est le « Türkenhonig » ou « türkischer Honig » (« miel turc »).

Nougat, touron, halva ou mandolata… « Chacun à son goût » (6) comme on dit en allemand (!)  Encore un faux gallicisme puisque, en français, on dit « Chacun ses goûts ».

Pour être au courant

1- En Provence, le nougat (blanc et noir) fait partie des traditionnels « treize desserts de Noël », au moins depuis le milieu du XVIIe siècle, avec les noix, les amandes, les figues sèches, les raisins secs, les dattes, les pruneaux, la pâte de coing, les cédrats confits, les oranges, les pommes, la pompe à l’huile (ou fougasse)… et bien d’autres. La liste varie selon les sources, les traditions familiales et les époques.

2- En argot, les nougats, ce sont les pieds. Le mot est apparu en 1917, dans le langage des Poilus : avoir « les jambes en nougat » signifiait avoir les jambes molles (comme du nougat tendre), donc faibles et inaptes aux longues marches. Par extension, à partir de 1926, le mot est attesté comme synonyme de « pieds ».

3- Les nougats plus « exotiques »
– A Cuba, le nougat contient des cacahuètes et s’appelle « turrón de maní » (nougat aux cacahuètes).
– Aux Philippines, il est à base de noix de cajou et contient de la cannelle et du jus de citron.
– La version iranienne traditionnelle du nougat est encore plus surprenante : le « gaz » avait pour base l’exsudat de différents insectes (pucerons, cochenilles….) : le miellat. Aujourd’hui composé de blanc d’oeuf, de sucre et de noix, il est aromatisé à l’eau de rose et au safran.

4- Connue dès le VIIe siècle en Europe, la culture de l’amandier ne s’y est vraiment répandue qu’à partir des XIIe-XIIIe siècles. La noix, elle, était déjà consommée par l’homme de Cro-Magnon dans le Périgord il y a 17 000 ans !

5- Le touron n’est pas seulement une variété de nougat.
Ce mot est aussi un néologisme utilisé pour désigner « les touristes qui font preuve d’un comportement irresponsable : provoquer un ours dans le parc du Yellowstone, faire un selfie au bord d’un à-pic de 300 m, ou sur les rails juste avant le passage d’un train… ou obliger ses enfants à poser près d’un alligator à la gueule grande ouverte dans le parc national des Everglades. » (article)
Ce mot-valise est composé de « tourist » et de « moron » (crétin, en anglais). Moron vient du grec môrós (niais, stupide, insensé). Ce terme a été utilisé au début du XXe siècle par le psychologue américain Henry H. Goddard pour classer les personnes ayant un QI de 51 à 70, les « idiots » ayant un QI de 0 à 25, et les « imbéciles » un QI de 26 à 50.
Cette classification médicale, qui a été dévoyée à des fins eugénistes, est aujourd’hui obsolète.

6- « Chacun à son goût » – Cette expression française qui signifie « jeder nach seinem Geschmack » a été popularisée en Autriche par un couplet de l’opérette « Die Fledermaus » (La Chauve-souris – 1874) de Johann Strauss. Le prince Orlosfky, qui donne une réception, explique sans ménagement qu’il est le maître chez lui et que « ungeniert », quand il est « ennuyiert » par ses invités, il n’hésite pas à les mettre à la porte :  – « Warum ich das denn tu?   /  ’s ist mal bei mir so Sitte: / Chacun à son goût! »

sur la sellette

« Qui êtes-vous pour juger ? – Alors qu’il est largement mis sur la sellette par une commission d’enquête à l’Assemblée nationale qui se fait fort d’éclaircir les causes des dérapages du déficit public en 2023 et 2024, Bruno Le Maire, ancien ministre de l’Économie, a choisi l’attaque pour défense. » (article)

Etre sur la sellette, c’est se retrouver dans une position inconfortable, être accusé de quelque chose, être attaqué de toutes parts, être soumis à des questions critiques.

La sellette, diminutif de selle, était à l’origine (XIIIe siècle) un petit siège bas et sans dossier – une sorte de tabouret, donc peu confortable – sur lequel on faisait asseoir l’accusé pendant le réquisitoire, juste avant que la sentence soit prononcée.
La petite taille et la faible hauteur du siège étaient destinées à placer l’accusé dans une situation inconfortable et humiliante.
Cet objet est devenu sous la Révolution française l’un des symboles de l’arbitraire de la justice royale.

En allemand, l’expression équivalente fait aussi référence à un siège : « auf der Anklagebank sitzen ».

L’expression « être sur la sellette » a pour équivalent en anglais « to be in the hot seat » (1). « The hot seat » est d’ailleurs le titre d’une émission télévisée américaine dans laquelle un homme politique se retrouve assis, seul, sous le feu des projecteurs … et des questions des journalistes, un peu comme l’accusé sur la sellette dans les tribunaux de l’Ancien régime (avec les projecteurs en plus).

Aux Etats-Unis, dans l’argot pénitentiaire, « hot seat » désigne aussi la chaise électrique. C’est peut-être de là que vient l’expression « to be in the hot seat ». (2)

La chaîne allemande RTL a repris le principe de l’émission américaine sous le titre « Der heiße Stuhl » : l’invité, placé bien en vue et sous la lumière des projecteurs, devait répondre à des questions critiques, parfois hostiles ou même provocatrices.

Les locutions « être sur le gril » (une expression qui serait une allusion au martyre de Saint Laurent, brûlé sur un gril à Rome en 258) ou « être sous le feu de qc » traduisent en français la même idée : « ça va chauffer » !

Pour être au courant

1- « in the seat » or « on the seat » ?
L’explication est la même qu’en français où on peut être assis
sur un siège (une chaise – sans accoudoirs – ou un tabouret – sans accoudoirs ni dossier – ou encore « sur la sellette »)
– ou dans un siège (par exemple un fauteuil – avec un dossier et des accoudoirs).

2-  Chaise électrique – Cette méthode d’exécution par électrocution a été mise au point à la fin des années 1880, et utilisée pour la première fois en 1890 aux Etats-Unis.
Selon une autre hypothèse, l’expression « to be in the hot seat » se référerait plutôt aux interrogatoires policiers intensifs, menés sous une lumière aveuglante pour briser la volonté du suspect.
Une troisième théorie se réfère à une méthode utilisée lors d’interrogatoires dans l’armée : l’accusé était placé sur un siège pouvant administrer des décharges électriques douloureuses… mais pas létales.

le mariage de la carpe et du lapin

Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a rendu hommage à Michel Barnier [Premier ministre démissionnaire]. Le gouvernement a été renversé suite à l’adoption d’une motion de censure par les députés [du Nouveau Front Populaire et du Rassemblement National].
« Michel Barnier et le gouvernement ont été victimes d’une alliance de la carpe et du lapin totalement contradictoire », a estimé le ministre. (article)

Si l’on découvre régulièrement des animaux hybrides comme les grolars (en anglais) ou grolaires (en français) – un mot-valise composé du « gr- » de grizzly, et de la terminaison « -olaire », de l’ours polaire – dont la progéniture est fertile, il est par contre exclu que l’on puisse observer un jour un croisement entre une carpe et un lapin !

En employant l’expression « la carpe et le lapin », Bruno Retailleau estime donc que l’alliance de facto entre les deux extrêmes à l’Assemblée nationale pour voter la motion de censure contre le gouvernement Barnier est contre nature : les positions et les intérêts de ces partis politiques sont trop différents, voire incompatibles. D’autre part, elle ne peut déboucher sur rien de productif.

Au XIXe siècle, la métaphore un peu familière du « mariage de la carpe et du lapin » se référait à l’union contractée entre un homme qui appartenait à de la haute aristocratie – en général un roi ou prince régnant – et qui épousait une femme de condition inférieure. C’était, en français comme en allemand, « une mésalliance / eine Mesalliance » : en effet, dans ces « grandes » familles prévalait la règle d’égalité de naissance des deux époux.

Cette union inégale était aussi appelée « mariage de la main gauche » (comme en allemand, d’ailleurs, où il est question de « Ehe / Trauung zur linken Hand »). Cette expression vient du fait que, lors de la cérémonie nuptiale, la mariée se tenait à la gauche du marié qui lui tendait donc sa main gauche.
Les enfants issus de ce couple, bien que nobles, n’étaient pas « dynastes », c’est-à-dire qu’ils ne portaient ni le nom ni les armes de leur père et ne pouvaient hériter de ses États.

Ce mariage est également qualifié de « morganatique » : cet adjectif dérive de l’allemand « Morgengabe » (littéralement « don du matin ») qui désigne le don que le mari offrait à la famille de son épouse le lendemain matin des noces.

Les exemples de mariages morganatiques ou de la main gauche ont été nombreux dans les cours européennes au cours de l’histoire. En voici trois exemples.

– En Autriche, l’archiduc Jean (le fameux Erzherzog Johann, bien connu en Styrie), fils de l’empereur Léopold II, épouse morganatiquement Anna Ploch, la fille du maître de poste d’Aussee. Ce n’est qu’en 1844 que l’empereur Ferdinand 1er élèvera celle-ci au rang de Comtesse de Meran, créant ainsi une nouvelle branche de la dynastie des Habsbourg-Lorraine, dont descend la famille Harnoncourt.

– L’archiduc François-Ferdinand d’Autriche (né à Graz en 1863 et assassiné à Sarajevo en 1914) avait épousé Sophie Chotek qui, bien que d’ancienne noblesse, n’appartenait pas à une famille régnante : aucun des trois enfants issus de ce mariage morganatique ne pouvait prétendre accéder au trône (impérial en Autriche et royal en Hongrie).

– En France, Louis XIV, devenu veuf de Marie-Thérèse d’Autriche, a épousé en secret sa maîtresse, Madame de Maintenon, en 1683 : ce mariage morganatique était destiné à régulariser cette liaison jugée « scandaleuse » !

Et c’est justement le Roi-Soleil qui nous permet de boucler la boucle et de revenir à la carpe et au lapin…

L’un des passe-temps favoris du roi vieillissant, qui ne pouvait plus s’adonner aux plaisirs de la chasse (au lapin et autre gibier…), était d’aller nourrir les carpes dorées qui évoluaient dans les bassins du château de Marly. L’une d’entre elles était sa favorite…

Un jour de promenade, ne l’apercevant pas, Louis XIV fit curer le canal afin de la retrouver. Quand on la découvrit morte, son chagrin fut tel qu’il ordonna à sa suite : « Retirez-vous d’ici ! La carpe favorite est morte. On ne voit personne aujourd’hui. »


Cet animal hybride
est-il
un « capin »
ou
une « larpe » ?

Escarmouches à l’Assemblée : la Commedia dell’arte ?

Dans le langage militaire, une escarmouche est un combat localisé et de courte durée entre des tireurs ennemis isolés. Cette tactique de combat a pour but de déboussoler et d’affaiblir l’adversaire avant le véritable Kampf, Auseinandersetzung.

Au sens figuré, c’est un échange de propos vifs, une prise de bec annonçant un débat, une polémique plus importante. On retrouve ces deux acceptions dans le terme allemand  Geplänkel.

Mais d’où vient le mot « escarmouche » ?
A-t-il un rapport quelconque avec la mouche ? (1)
Il dérive de l’ancien francique skirmjan qui signifiait protéger. Ce dernier a donné « escremir » en ancien français, un verbe qui signifiait à la fois protéger mais aussi se battre, attaquer pour mieux se protéger. De ce verbe dérivent – vous l’aurez deviné ! – les substantifs escrime et, donc, escarmouche. (2)

Bien que ce soit moins évident à première vue, le mot allemand Scharmützel possède la même origine – et la même signification – que l’escarmouche. Le radical francique skirmjan a donné également en allemand (ab)schirmen (protéger) et Schirm (écran, parapluie, donc protection).

En italien, ce radical a donné schermugio puis scaramugi. C’est de là que vient le nom d’un des personnages-types de la Commedia dell’Arte, Scaramuccia, un homme fanfaron et batailleur, porteur d’une longue rapière, mais en réalité un véritable poltron. (3)

Ce personnage populaire est devenu le héros d’un roman et de plusieurs films de cape et d’épée, dont le plus célèbre « Scaramouche » (Scaramouche, der galante Marquis) a été tourné en 1952, avec Stewart Granger dans le rôle du héros, un bourreau des coeurs au sourire ravageur, défenseur de la veuve et de l’orphelin.

Ayant juré de venger Philippe de Valmorin, son ami assassiné dans un duel déloyal, il prend la place de l’acteur qui joue Scaramouche dans une troupe ambulante. André Moreau, alias Scaramouche, finit par venger Philippe – sans pourtant tuer le Méchant -, et par épouser la belle aristocrate  Aline (dont il se croyait la sœur !)

Je vous fais grâce des autres rebondissements de l’histoire. Vous avez suivi ?

Ce scénario, inspiré du roman historique britannique « Scaramouche » de Rafael Sabatini (publié en 1921), ne manque pas de ressemblances
– avec le roman de cape et d’épée de Paul Féval « Le Bossu » (publié 64 ans plus tôt, en 1857),
– mais aussi (en moins « romantique ») avec la politique française actuelle : escarmouches, duels, passes d’arme, traquenards et rebondissements en cascade.
Reste à attribuer le rôle du héros et du Méchant


Pour être au courant

1 – la mouche et l’escrime – Etymologiquement, escarmouche n’a rien à voir avec l’insecte. Mais, en escrime, la mouche est une protection en cuir que l’on fixe au bout de la lame du fleuret pour rendre l’arme inoffensive. Cette mouche était appelée autrefois « bouton » (Knospe en allemand) ou « fleur », d’où le nom du « fleuret ». Son équivalent allemand « Florett » a la même étymologie.

A l’origine, c’était seulement une arme d’entraînement : elle n’était pas destinée à blesser – et encore moins tuer. C’est de là que vient l’expression figurée « combattre / se battre à fleurets mouchetés », c’est-à-dire ménager l’adversaire, ne pas avoir l’intention de le blesser (physiquement ou verbalement).

2- Le mot Fechten, lui, a une étymologie commune avec le verbe anglais to fight (combattre).

3- Le premier Scaramouche – Au XVIIe siècle, à l’époque de Louis XIII, le rôle (inspiré du personnage du Capitan) a été créé par l’acteur napolitain Tiberio Fiorelli. C’est par la suite que « Scaramouche » est devenu un rôle type de la Commedia dell’arte. L’acteur, qui était aussi le chef de la troupe des Comédiens-Italiens à Paris, amusait tant le dauphin (futur Louis XIV) par ses grimaces et ses pitreries qu’il reçut l’ordre de se rendre chaque soir à la cour pour le divertir. Molière, qui l’admirait beaucoup, s’est inspiré du jeu de Fiorelli pour créer ses rôles de farces.