Le MOT du JOUR
1- il caracole en tête des sondages
2- un partenariat européen qui a déraillé
3- leurre et miroir aux alouettes : des attrape-nigauds
4- le loup (chinois) dans la bergerie (française)
5- et si les « froggies » étaient les Anglais ?
6- « Oeil pour oeil, dent pour dent »
7- détricoter ou déficeler ?
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détricoter ou déficeler ?
« Budget 2026 : le Sénat prêt à détricoter les ‘monstruosités’ fiscales votées à l’Assemblée.
Alors que les travaux ont commencé à la chambre haute pour examiner la copie budgétaire du gouvernement, les sénateurs de la droite et du centre manifestent leur préférence pour les économies plutôt que pour les créations et hausses d’impôts. »
Ils critiquent « les mesures qui conduisent à accroître la pression fiscale qui pèse sur nos concitoyens et sur nos entreprises. » (article du 5 novembre 2025)
Pas de tricoteuses (1) à l’Assemblée !
N’allez pas imaginer que ces messieurs du Palais Bourbon et du Palais du Luxembourg (en effet, les femmes ne représentent que 36,1% des députés et 36% des sénateurs) (2) manient des aiguilles à tricoter et, tels Pénélope (3), défont chaque matin les rangs tricotés la veille par leurs collègues de l’autre assemblée du Parlement !
« Détricoter », au sens figuré – et en particulier dans le domaine politique – signifie défaire, déconstruire, vider de sa substance.
Si les Français choisissent la métaphore du tricot (4), en allemand, on préfère évoquer la ficelle qui entoure le paquet.
« Regierung will Beamten-Lohnrunde 2026 aufschnüren.
[Sie] lädt die Beamtengewerkschaft zu einem Gespräch, um über eine Reduktion des eigentlich bereits beschlossenen Gehaltsabschlusses für 2026 zu reden. » (article)
Le gouvernement autrichien souhaite « déficeler », donc « détricoter » – pour le revoir à la baisse – l’accord conclu à l’issue des négociations salariales avec les représentants des fonctionnaires.
Qui « tire les ficelles » dans la coalition « Türkis-Rot-Pink » autrichienne ?
die Fäden ziehen – Manœuvrer autrui en restant soi-même dans la coulisse.
Pour être au courant ![]()
1- Sous la Révolution, le terme « Tricoteuses » désignait les femmes du peuple qui assistaient aux séances de l’Assemblée ou du tribunal révolutionnaire, voire aux exécutions à la guillotine, tout en tricotant – activité que, selon leurs maris, frères et pères, elles auraient mieux fait d’accomplir à la maison ! Faire la révolution n’empêche pas d’être macho…
2- Pourcentage d’élues au Palais Bourbon et au Palais du Luxembourg
– 36,1 % des députés sont des femmes : cela représente 216 femmes sur les 577 sièges de l’Assemblée nationale pendant la 16ème législature (2022-2027).
– 36 % des sénateurs sont des femmes. Depuis le renouvellement de septembre 2023, le Sénat compte 126 femmes et 222 hommes.
3- Bien sûr, l’épouse d’Ulysse tissait et ne tricotait pas, mais le verbe « détisser » n’existe pas !
4- « Tricot » est un diminutif du mot trique, un bâton gros et court, une sorte de gourdin dont on se sert pour battre qn.
En vieux-francique, le verbe strikan dont il dérive avait le sens de frapper (voir l’anglais to strike, de même sens). Tricoter quelqu’un, c’était le rosser à coups de bâton.
Au XVe siècle, le verbe prend
– le sens de courir, sauter en remuant beaucoup les jambes (leur mouvement étant comparé à celui d’un bâton qu’on agite),
– puis, à la fin du XVIe, le sens que l’on connaît aujourd’hui : « exécuter un ouvrage en mailles entrelacées, avec des aiguilles spéciales » (le va-et-vient des aiguilles est comparé à celui des jambes en mouvement).
Nos aiguilles à tricoter sont des triques en version miniature.
Au XVIIe siècle, les « broches » étaient des aiguilles à tricoter. Peu à peu le verbe « brocher » a été évincé par »tricoter ».
Le verbe allemand stricken est, bien sûr, de la même famille.

« Oeil pour oeil, dent pour dent »
« L’Arabie Saoudite prise au piège de la loi du Talion
Lors d’une rixe, Abdoulaziz al Moutairi, un Saoudien de 22 ans, a eu l’épine dorsale brisée, le paralysant à vie. Comme l’y autorise la charia, il a demandé que son agresseur subisse le même sort que lui, une requête qui embarrasse la justice saoudienne. C’est pourquoi elle tente de persuader le plaignant de renoncer à sa demande et d’accepter une indemnisation financière. (article)
Cette loi de la « réciprocité » remonte, en fait, à bien plus loin que le Moyen Age. Elle est d’abord mentionnée dans le Code d’Hammourabi (1730 av. JC), roi de Babylone :
§ 196 : Si quelqu’un a crevé un oeil à un notable, on lui crèvera un œil.
§ 197 : S’il a brisé un os à un notable, on lui brisera un os.
§ 200 : Si quelqu’un a fait tomber une dent à un homme de son rang, on lui fera tomber une dent.
On la retrouve dans l’Ancien Testament.
« Tu donneras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure ». (Livre de l’Exode, 21 : 23-25)
Le français a conservé le nom d’origine latine : c’est la loi du talion (ius talionis), mot dérivé de l’adjectif talis qui signifie « tel, pareil, même ». La punition infligée au coupable devait être équivalente, en nature et en gravité, au tort qu’il a causé. C’est le principe de la réciprocité.
« Auge um Auge... » – En allemand, cette loi est celle de la « revanche », de la « rétorsion » : die Wiedervergeltung (2), appelée aussi – dans la langue juridique – Retaliation.
Pour être au courant ![]()
1- Considérée comme contre-exemple de notre conception juridique moderne, la loi du talion est encore en vigueur dans les pays qui appliquent une version stricte de la charia, comme l’Arabie saoudite, l’Afghanistan ou le Nigeria.
En Arabie saoudite, dans les cas de « qisas » (réparation), d’autres peines ont été prononcées ces dernières années, comme l’énucléation, l’arrachage de dents, ainsi que la mort dans des affaires de meurtre.
2- « Vergeltung » vient de gelten (avoir cours, valoir), qui est attesté (au VIIIe siècle) sous la forme « geltan » en ancien haut allemand, avec le sens de « (zurück)zahlen, entschädigen, opfern, wert sein ».
C’est, en effet, un mot de la même famille que « Geld ». Le coupable doit « payer » au sens propre (indemniser financièrement la victime) ou figuré (subir les conséquences pénibles de son acte).
3- Dix-huit siècles après le Code d’Hammourabi, dans l’évangile selon Matthieu (5: 38-40), Jésus prône une réponse non-violente face à l’agresseur :
« Vous avez appris qu’il a été dit : ‘œil pour œil et dent pour dent’. Et moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. »
Un précepte difficile à mettre en pratique…

Et si les « froggies » étaient les Anglais ?
A en croire des découvertes archéologiques réalisées sur le site de Stonehenge, les Français ne mériteraient pas (1) ce sobriquet méprisant donné par leurs voisins d’Outre-Manche qui les qualifient de « mangeurs de grenouilles », d’escargots et d’autres animaux qu’ils considèrent, eux, comme répugnants (article).
Les premiers documents mentionnant la consommation de grenouilles en France datent du XIIe siècle (2). Or, des fouilles effectuées sur le site mégalithique de Stonehenge ont permis de mettre au jour des arêtes de poisson, des restes d’aurochs, mais aussi des quantités d’os de cuisses de grenouilles qui dateraient de plus de 7000 ans avant notre ère, donc bien avant que les Français se mettent à en consommer régulièrement.
Voilà des informations scientifiques qui mettent à mal un des clichés préférés des Britanniques au sujet des Français !
Le mot grenouille dérive – après quelques altérations – du latin « ranunculus » (petite grenouille) (3).
De leur côté, l’allemand Frosch et l’anglais frog ont une origine commune, à savoir preu (springen) : ce sont donc des « sauteurs ».
L’emploi métaphorique des noms d’animaux permet très souvent de faire des comparaisons révélatrices entre les langues. Pourquoi dit-on « einen Frosch im Hals haben » quand on a la gorge qui gratte, alors qu’en France on a « un chat dans la gorge » quand on est enroué ?
L’expression allemande possède une origine médicale : en effet, « ranula » est un terme employé par les ORL pour désigner une grosseur qui se forme sous la langue et qui rend l’élocution difficile car elle peut provoquer des problèmes de déglutition et un enrouement. La « ranula » est communément appelée « Froschgeschwulst » ou « Fröschlein ».
Mais que vient faire un chat dans la gorge des Français ?
Bien sûr, cette formule imagée pourrait expliquer qu’on a « la gorge qui gratte » à cause du matou qui s’y agrippe, toutes griffes dehors. En réalité, l’expression est née d’une confusion – ou d’un jeu de mots, qui sait ? – entre le matou et le maton, mot qui désignait à l’origine des grumeaux de lait caillé, puis, par analogie, des glaires qui se forment dans la gorge.
La grenouille s’invite aussi dans une autre locution originale : une grenouille de bénitier (littéralement : Weihwasserbeckenfrosch ; Betschwester) désigne de façon péjorative les fausses dévotes (4) qui passent une partie de leur temps à l’église à proximité du bénitier et qui, telles des grenouilles qui coassent dans leur mare, se livrent à des commérages médisants et donc peu charitables (5).
Traités de « froggies », les Français ne se montrent guère plus charitables à l’égard des Britanniques : depuis le XVIIIe siècle, ils se vengent en les surnommant les « rosbifs », car ils sont réputés gros mangeurs de viande, surtout de boeuf, le plus souvent rôti (roast beef), alors que les Français le consommaient plutôt bouilli.
Le choix de ce sobriquet vient aussi de la couleur (écarlate …) que prend la peau des Anglais lorsqu’ils s’exposent un peu trop au soleil de l’Hexagone et attrapent des coups de soleil.
Pour être au courant ![]()
1- Un sobriquet immérité ? Pourtant, les Français restent – avec plus de 3 000 tonnes par an – les plus gros consommateurs de cuisses de grenouille du monde. Elles sont surtout importées d’Indonésie et du Vietnam. La capture de grenouilles sauvages est interdite en France. Mais, en Franche-Comté, des raniculteurs élèvent ces amphibiens dans des mares artificielles. Il s’agit cependant d’une production très limitée, destinée au marché local.
2- C’est à partir du XIIe que la consommation de cuisses de grenouilles est attestée en France : considérée comme un aliment maigre – comme d’autres « gibiers d’eau » (du castor aux poissons en passant par la sarcelle, la tortue, les escargots…) – la chair de grenouille était consommée par les moines : cela leur permettait de contourner l’interdiction de manger de la viande pendant le Carême ou le vendredi.
3- La rainette, quant à elle, a conservé une forme moins éloignée du latin « rana », mot probablement d’origine onomatopéique : ce serait une imitation du coassement de ce batracien.
4- faux amis : le substantif et adjectif français dévot/e se traduit en allemand par « Frömler/in » et « fromm ».
L’allemand « devot », emprunté au français au XVIIe siècle et avec le même sens, est aujourd’hui synonyme de unterwürfig et se traduit en français par obséquieux, servile, exagérement humble.
5- Autre pays, autre animal ! L’équivalent allemand de la « grenouille de bénitier » est une « Tabernakelwanze » (littéralement : punaise de tabernacle) appelée en français « punaise de sacristie ».

faire entrer le loup dans la bergerie
« L’arrivée de magasins Shein en France, c’est le loup dans la bergerie. Le BHV à Paris et cinq magasins Galeries Lafayette en région vont accueillir les tout premiers magasins physiques du géant chinois de l’ultra fast-fashion (1). La nouvelle soulève une vague d’indignation dans le secteur. »
Shein est critiqué pour son mode de production et de commercialisation qui « ne respecte pas les normes européennes. Cela crée donc une situation de concurrence déloyale vis-à-vis des commerces de proximité », dénonce – le député (LR) de la Loire, Antoine Vermorel-Marques, qui avait déposé une proposition de loi pour combattre l’ultra fast-fashion. » (article)
Employée très tôt au sens propre, à savoir laisser s’introduire un prédateur comme le loup dans l’abri des moutons les met en danger de mort, la locution a pris un sens métaphorique au XVIIe siècle :
♦ dans le domaine médical, « enfermer le loup dans la bergerie » signifie à cette époque « laisser refermer une plaie sans l’avoir fait suppurer pour « empêcher qu’il ne s’y forme un sac (c’est-à-dire une poche de pus – donc un abcès) qui obligerait à la r’ouvrir » (Dictionnaire universel de Furetière, édition de 1690) (2) ;
♦ dans le domaine religieux : l’expression apparaît dans la traduction d’une bulle du pape Innocent VII de 1680, on trouve la recommandation suivante « Afin que l’on se précautionne sagement et de bonne heure à ne pas mettre le loup dans la bergerie et ne pas exposer la congrégation à quelque scandale. »
La métaphore est d’autant plus pertinente que, dans l’Eglise catholique, si le loup représente le Mal, les fidèles sont, eux, qualifiés de « brebis » ou d’ouailles (3), protégées par Jésus, « le Bon Pasteur ».
Au début du XVIIIe siècle, la locution prend une signification plus générale et s’utilise comme mise en garde : il est dangereux de laisser s’introduire quelqu’un dans un lieu où il peut faire beaucoup de mal, surtout s’il s’y trouve des êtres vulnérables.
Cet intrus nuisible et rusé, ainsi que l’espèce menacée, varie selon les langues, mais le sens reste le même :
– En italien (fare il lupo pecoraio) comme en portugais (pôr o lobo a guardar o rebanho), on retrouve la menace du loup qui s’introduit dans la bergerie et met en danger le troupeau.
– En espagnol, on dit : poner al zorro a cuidar de las gallinas = confier la garde des poules au renard.
– En allemand, on trouve une expression similaire : Den Fuchs den Hühnerstall bewachen lassen : charger le renard de garder le poulailler ne peut que provoquer une catastrophe.
– Les anglophones ont le choix entre to let the wolf into the fold = laisser entrer le loup dans la bergerie – comme en français – ou to let a fox into the henhouse » = laisser un renard entrer dans le poulailler, ou to set the fox to mind the geese = mettre le renard à garder les oies.
Dans l’Europe du Nord, l’intrus semble moins redoutable que le loup ou le renard, mais il peut lui aussi causer des ravages.
– En allemand, on utilise la locution « den Bock zum Gärtner machen » qui évoque le saccage que pourrait provoquer un bouc si on le laissait agir à sa guise dans un potager. L’expression, attestée à partir du XVIe siècle, est attribuée à Hans Sachs, auteur dramatique et Meistersinger à Nüremberg.
– En finois, on dit pukki kaalimaan vartijana = faire du bouc le gardien du champ de choux.
– En norvégien : Sette bukken til å passe havresekken signifie « mettre le bouc pour garder l’avoine ».
Le « grand méchant loup » qui menace les « brebis », le bouc qui vient marcher sur les plates-bandes des petits commerces français, c’est « le géant chinois de l’ultra fast-fashion ».
Pour être au courant ![]()
1- Fast-fashion : on dit aussi « mode jetable » = « Wegwerfmode ».
2 – En 1685, Mme de Sévigné écrit à sa fille, Mme de Grignan, que sa jambe a bien désenflé : « (elle) a bien coulé, les feux sont amortis ». Pour permettre la guérison, ajoute-t-elle, « il faut savoir s’il y a encore des loups dans les bergeries et les en faire sortir. »
3 – Les ouailles : les fidèles sont comparés à des brebis. Le mot vient du bas latin ovicula (petite brebis). En latin, le « V » était utilisé à la fois comme voyelle et comme consonne : la distinction entre « u » et « v » n’existait pas, d’où l’évolution du mot ovicula → oeilles ou oailles en ancien français → ouailles (depuis le milieu du XVIe siècle).
leurre et miroir aux alouettes : attrape-nigauds
« L’objectivité de l’intelligence artificielle est un leurre ».
Après avoir soulagé l’humanité – ou du moins une partie – de l’effort physique, la technologie va-t-elle nous soulager de l’effort intellectuel ? C’est du moins ce que propose depuis quelques années (…) l’intelligence artificielle générative. Pourtant, il n’est pas sûr que cela soit une bonne chose. C’est ce qu’explique la philosophe Camille Dejardin, dans (…) « À quoi bon encore apprendre ? », une réflexion stimulante sur ce que nous apporte l’apprentissage. (article)
L’intelligence artificielle ne serait-elle qu’un leurre, un miroir aux alouettes ? Une technologie séduisante qui va se révéler être un piège ?
A l’origine, c’est-à-dire au début du XIIIe siècle, le mot « leurre » est cantonné au domaine de la fauconnerie, où il désigne un « morceau de cuir rouge en forme d’oiseau, garni de plumes, servant à faire revenir l’oiseau sur le poing du fauconnier» (CNRTL ).
C’est donc un appât artificiel, destiné à tromper le rapace utilisé pour la chasse.
Le « pigeon » de l’histoire, c’est, en fin de compte, le faucon pèlerin, l’épervier, la buse, l’autour ou l’aigle que l’on « appâte » avec une attrape, tout comme les alouettes qu’on attire avec des miroirs scintillant au soleil, et qui se prennent dans les filets des chasseurs.
C’est bien plus tard que « leurre » (au XVIIe siècle) et « miroir aux alouettes » (au XIXe) acquièrent un sens figuré plus général et négativement connoté : « un artifice dont l’apparence séduisante est destinée à tromper ».
Leurre vient de l’ancien bas francique lôþr (appât) qui a donné en ancien moyen haut allemand luoder (même sens) et en allemand moderne Luder. Dans le jargon des chasseurs, Luder possédait la même signification originelle que son équivalent français : une attrape pour faire revenir l’oiseau de proie.
Puis le mot a pris un sens plus dévalorisant : c’est, encore aujourd’hui dans le langage des chasseurs, un synonyme de cadavre ou charogne (1).
En allemand moderne – depuis la fin du XXe siècle – Luder désigne plus couramment une garce (2) – ce qu’on appelait autrefois « une femme de mauvaise vie », « ein liederliches (3) Frauenzimmer ».
On en répertorie de nos jours plusieurs variantes : Partyluder (Partygirl), Boxenluder (grid girl, qui fréquente les circuits de Formule 1), Promiluder… Ces jeunes (en effet, le mot ne s’applique jamais aux vieilles dames…) personnes ont la réputation de jouer de leurs appas pour séduire – de préférence – des hommes riches et célèbres.
Comment est-on passé de l’appât et de la charogne à la garce, la débauchée ? Les lexicologues germanophones n’ont pas trouvé la raison de ce glissement de sens.
En français, tout s’explique ! Les mots appât et appas ont la même origine étymologique : ils viennent tous les deux du verbe appâter (attirer par de la nourriture… qui n’est pas forcément de la pâtée), lui-même dérivé du latin pascere (nourrir) (4).
Le leurre et das Luder sont destinés à attirer par une apparence séduisante qui se révèle souvent trompeuse, voire fatale. C’est :
– d’un côté, un morceau de cuir garni de plumes, ou un ver frétillant sur un hameçon ;
– de l’autre, une jeune personne au physique attirant.
Ce leurre ou miroir aux alouettes a aussi pour synonyme « attrape-nigauds » = Bauernfängerei ; littéralement : « Einfaltspinselfalle » !
Pour être au courant ![]()
1- On retrouve le sens ancien de Luder dans le mot Luderplatz – Les protecteurs de la nature aménagent aujourd’hui ce qu’on appelle des « Luderplätze » pour attirer les animaux sauvages carnivores – à poils et à plumes – afin de les observer et / ou de les nourrir.
2– Le mot « garce », féminin de garçon, a d’abord désigné une adolescente, puis une femme de mauvaise vie et une fille ou femme méchante ou désagréable.
3- Liederlich n’a rien à voir avec le mot Lied (chant) ! L’adjectif est synonyme de débauché. Il a une étymologie commune avec les verbes « lottern », « schlottern ». Ainsi, « ein Lotterleben », c’est une vie dissolue.
4- Parmi les mots dérivés du verbe latin pascere, qui a donné past (nourriture) en ancien français, on compte aussi « paître », « pâturage », « pâtée », « pâtre et pasteur ».
Un partenariat européen qui a déraillé
« Inaugurés en grande pompe il y a deux ans, les trains de nuit Paris Vienne et Paris Berlin seront supprimés à la fin de l’année. La rumeur courait depuis quelques jours et suscitait la crainte des associations de défense du rail. C’est (maintenant) officiel : faute de financement de la France, les chemins de fer autrichiens ÖBB qui exploitent les Nightjet en partenariat avec la SNCF et la Deutsche Bahn annoncent leur mise à l’arrêt à partir du 14 décembre. » (article)
Le rail se définit comme « chacun des deux profilés d’acier laminé qui, fixés sur des traverses en deux lignes parallèles, constituent le chemin de roulement des trains et des tramways en particulier » (CNRTL)
Par métonymie (2), le mot désigne le transport par voie ferrée, par chemin de fer.
Mais quelle est l’origine du mot « rail » [ ʀaj ] ?
Il a été emprunté au XVIIIe siècle à l’anglais « rail » [ reɪl ], dérivé de l’ancien français « reille » (barre de porte, barrière) qui vient lui-même du latin « regula » (règle, barre).
L’étymologie du mot rappelle que les précurseurs des voies ferrées, les premiers rails, n’étaient pas en métal. Les wagonnets utilisés dans les mines dès le début du XVIe siècle pour transporter le charbon, les minerais, le sel gemme, etc. circulaient sur de longues de barres de bois. Creusées dans le sens de la longueur – donc avec des rainures longitudinales – ces barres guidaient les roues des chariots hippomobiles ou tirés par des hommes.
En français, il n’était donc pas encore question de « chemin de fer » ou de « voie ferrée », mais de « chemin guidé » ou de « voie charretière ».
Avec le temps, on a renforcé la gorge des barres de bois avec du métal pour les rendre plus résistantes à l’usure. (3)
Rail et tram – Le terme « tramway », emprunté à l’anglais vers 1870, rappelle lui aussi cet emploi initial de barres de bois pour guider les chariots et wagonnets.
Mot d’origine germano-nordique, « tram » signifie en effet
– « barre, brancard de brouette, poutre » en moyen flamand ;
– « drom » signifie « poutre » en moyen néerlandais ;
– en allemand, Tram désigne aussi une grosse poutre (Dachbalken).
La liaison Vienne-Paris par le rail est devenue quotidienne en 1885, et c’est cette année-là qu’a été lancée la circulation du célèbre Orient-Express sur cette ligne qui se poursuit jusqu’à Venise.
140 ans plus tard, il est toujours en service. Le « nightjet » Paris-Vienne, lui, n’aura relié les deux capitales que pendant deux ans.
Pour être au courant ![]()
1- Le verbe dérailler est polysémique, il a plusieurs significations :
– au sens propre : (wagons, trains) entgleisen ;
(chaîne de vélo) abspringen
– au sens figuré : nicht mehr richtig ticken, spinnen, Unsinn reden.
2- La métonymie est une figure de style qui consiste à utiliser un mot ou un concept pour désigner une idée différente, mais qui reste cependant associée au concept de départ.
Exemples : on dit « le rail » pour évoquer les transports par voie ferrée, « croiser le fer » pour se battre à l’épée, avoir « un Picasso » pour posséder une œuvre de ce peintre, « l’Élysée » pour le président de la République française, « boire un Bordeaux » pour consommer un verre de vin de cette région…
3- Bois, fonte, fer, acier… Les premiers rails en fonte ont fait leur apparition vers 1750. Ils sont en fer laminé au début du XIXe siècle. Les rails en acier se généralisent à la fin du XIXe siècle.
caracoler
« Présidentielle 2027 – Selon un sondage Ifop Fiducial, publié ce lundi 29 septembre, (…) le Rassemblement national, qu’il soit qu’il soit représenté par Marine Le Pen ou Jordan Bardella, caracole en tête des intentions de vote avec 33 à 35% des voix, au premier tour. Au sein de la macronie, seul Édouard Philippe parvient à atteindre 19% d’intentions de vote, dans l’hypothèse où Olivier Faure est le candidat du Parti socialiste » et 16% si c’est Raphaël Glucksmann. (article)
Caracoler en tête, c’est se trouver dans une position dominante, avoir une large avance sur ses concurrents, soit, en allemand : unangefochten an der Spitze liegen.
L’emploi de ce verbe pour désigner l’avance importante d’un candidat ou d’une liste qui a réussi à semer ses poursuivants dans la course à l’élection est, à première vue, assez paradoxal : en effet, en ancien français, la caracole est un escargot. D’ailleurs, le mot est toujours utilisé en Belgique. (1) En espagnol, c’est aussi le nom de ce gastéropode plus réputé pour sa lenteur que pour sa rapidité ! (2)
Pourtant, « caracoler en tête » vient bel et bien de l’escargot et se réfère, non pas à sa vitesse de progression, mais à la forme en spirale de sa coquille qui a inspiré les exercices équestres virevoltants qui portent son nom : la « caracole » ou « caracolade » est un enchaînement de tours ou « voltes » ou de demi-tours ou « demi-voltes » à droite et à gauche (3) exécuté par un cheval.
L’allemand a emprunté ces termes au français : « Volte » et « Halbvolte » – tout comme « Pas de deux », « Piaffe », « Passage », « Pirouette », « Levade », « Courbette » ou « Cabriole » – sont employés pour décrire les figures équestres.
En effet, les méthodes de dressage employées par la célèbre « Spanische Hofreitschule » de Vienne sont fondées depuis le XVIIIe siècle sur les écrits de l’écuyer français François Robichon de la Guérinière, « l’École de Cavalerie », ouvrage publié à Paris en 1729-1730.
C’est donc de ces exercices de dressage – et indirectement de l’escargot – que vient le sens figuré du verbe « caracoler », c’est-à-dire évoluer avec facilité et vivacité.
Pour être au courant ![]()
1- A Perpignan, dans le Roussillon, l’escargot est appelé « cargole ». Dans la région de Montpellier et en Camargue, c’est une « cagarolette ». En Provence, c’est un « cacalau » (prononcé « cacalaou ») ou « cacalaus ».
2- La lenteur de l’escargot a donné naissance à deux expressions similaires, en français et en allemand : « avancer comme un escargot / im Schneckentempo gehen » signifie progresser très lentement. C’est de là que vient « l’opération escargot » (Protestaktion Schneckentempo), une forme de manifestation revendicative qui consiste à provoquer un ralentissement de la circulation.
L’espagnol (a paso de tortuga), le portugais (a passo de cágado) et l’italien (come una tartaruga) établissent plutôt une comparaison avec la lenteur de la tortue.
3- Les voltes et demi-voltes équestres s’effectuent aussi bien dans le sens des aiguilles d’une montre (vers la droite) qu’en sens contraire (vers la gauche). Cependant, les escargots « gauchers », appelés scientifiquement « senestres », c’est-à-dire dont la coquille s’enroule vers la gauche, sont des exceptions rarissimes !