la chauve-souris, un animal très chouette
« Covid-19: une étude met à mal l’hypothèse de la fuite de laboratoire et pointe du doigt les chauves-souris.
Une équipe de chercheurs [américains] affirme de nouveau l’origine naturelle du SARS-CoV-2. La pandémie de Covid-19 aurait été déclenchée par le commerce d’animaux sauvages en Chine, comme pour l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) de 2002. Les résultats de ces travaux remettent en cause la théorie selon laquelle l’épidémie aurait commencé à la suite d’une fuite accidentelle d’un virus étudié dans un laboratoire chinois. » (article du 13 mai 2025)
Si, malgré cette étude, l’origine de la pandémie reste encore très controversée, l’origine étymologique du mot « chauve-souris » est, par contre, avérée.
Pourquoi ce petit mammifère volant de la famille des Chéiroptères (1) est-il qualifié de « chauve » alors que son corps est couvert de poils ? C’est, tout simplement, parce que cet adjectif n’a rien à voir avec la calvitie.
Le mot chauve-souris tire son origine du terme grec « cawa sorix » qui signifie littéralement « chouette-souris » et qui a été déformé en « calva sorix » en latin (2) : la comparaison avec le petit rongeur s’explique facilement par son apparence. La référence à la chouette vient, elle, du fait que, comme ce rapace, la chauve-souris est un animal qui est actif dès que la nuit tombe. (3)
La chauve-souris la plus commune en Europe est une espèce de petite taille aux oreilles pointues, appelée pipistrelle. Le mot vient de l’italien pipistrello, qui a été lui-même emprunté à l’ancien nom latin de la chauve-souris : vespertilio (de vesper : « le soir », en raison de son mode de vie nocturne), mot qui a été évincé par le latin calva sorix.
En provençal, la chauve-souris est appelée « ratapenada » c’est-à-dire « souris ailée » (selon cette théorie, penada viendrait de « pinna → penna » = plume ou aile) ou « souris pendue » (selon cette hypothèse, penada viendrait de penjado), une souris au plafond des cavernes dans lesquelles elle se réfugie.
C’est à une autre particularité de l’animal que se réfère sa dénomination en espagnol : le mot « murciélago » est composé de « mur » (du latin mus, muris : souris) et de « ciego » = aveugle (du latin caecus, même sens). C’est par métathèse que murciégalo s’est transformé en murciélago (avec interversion du [ l ] et du [ g ] ).
En réalité, les chauves-souris ne sont pas aveugles. Leur vue – aussi développée que celle des humains – ne leur permet cependant pas de voir dans l’obscurité. C’est pourquoi elles ont développé un sixième sens, l’écholocation, grâce auquel elles peuvent se déplacer dans le noir en évitant les obstacles, et repérer leurs proies. C’est ce système qui a inspiré la technique du sonar.
La dénomination de la chauve-souris dans les langues germaniques est anatomiquement plus logique : l’animal est décrit comme une « souris qui volette, qui voltige » (4) : « Fledermaus » (en allemand), « flittermouse » (en anglais, à côté de « bat »).
Pour être au courant
1- chéiroptère : composé de « cheiro » : main + « pter » : aile – autrement dit « animal qui vole avec les mains ».
2- calva → chauve : le latin cal– s’est transformé en chau- en français. Ainsi calidus a donné chaud, de même que chaussure dérive de calceus.
3- La chauve-souris est un animal… très « chouette « ! Jusqu’au début du XIXe siècle, elle était souvent classée parmi les oiseaux. On trouve ainsi sous la plume (c’est le cas de le dire …) de Bernardin de Saint-Pierre (auteur de « Paul et Virginie »), dans « Harmonie de la nature », publié en 1814 : « Oiseaux de proie, tels que la chauve-souris, le hibou, le grand-duc ».
4- Fledermaus ← moyen haut allemand vledermûs ← ancien haut allemand fledarmûs, du verbe fledaron = voleter = flattern.
Même origine étymologique en néerlandais : vleermuis,
et dans les langues scandinaves : fladdermus (suédois) ; flagermus (danois) ; flaggermus (norvégien)…
Un conclave à huis clos
Conclave, jour 1 : des cardinaux en huis clos et une fumée noire tardive. (article)
Après que Diego Ravalli a prononcé le fameux « Extra ommes » (soit « Tout le monde dehors », en langage moins châtié …), les portes de la Chapelle Sixtine se sont refermées. Les 133 cardinaux électeurs sont entre eux, enfermés – « cum clave », d’où le nom du « conclave ».
L’élection du nouveau pape doit, en effet, depuis la fin du XIIIe siècle, se dérouler « à huis clos ». (1)
Si l’expression est connue c’est parce que
– c’est le titre d’une pièce de théâtre de Jean-Paul Sartre : « Huis clos » (Geschlossene Gesellschaft),
– on l’utilise aujourd’hui, dans le domaine juridique, pour désigner les procès dans lesquels le public n’est pas admis à l’audience : Verhandlung unter Ausschluss der Öffentlichkeit,
– ou, dans le domaine du sport, pour désigner les matches qui ne sont pas ouverts au public, et qu’on appelle en allemand « Geisterspiel » (littéralement « match fantôme ») et en français « match à huis clos ».
Employé seul, le mot « huis » a disparu de la langue courante : il désignait simplement la porte extérieure d’une maison et a été évincé peu à peu, dès le moyen âge, par le terme « porte ».
Il vient du bas latin « ustium », déformation du latin classique classique « ostium » (entrée, ouverture).
C’est également de cet « ostium » que vient le nom du port antique de Rome, aménagé à l’embouchure du Tibre : Ostie (2).
Quel est le rapport entre l’huis et Ostie ? Ils sont tous les deux dérivés du mot « os » qui signifie « bouche », et donc entrée (dans le corps, dans la maison, dans un cours d’eau).
On constate le même parallélisme en allemand avec le couple « Mund » (bouche) et « Mündung » (embouchure d’un cours d’eau).
Les termes « port » (Hafen) et « porte » sont, eux aussi, apparentés. En effet, le latin « portus » (3) dont ils dérivent signifie « entrée, passage » : c’est la porte d’entrée d’une maison et l’accès à la terre ferme.
Pour être au courant
1a- Le mot « huis » a survécu non seulement dans l’expression « à huis clos », mais aussi dans le terme « huissier » (Amtsdiener, Gerichtsbote, Gerichtsvollzieher) : c’était, à l’origine, le « gardien de la porte ».
1b- Une bizarrerie ortographique : si le « h » est muet dans « huis » et « huissier » (on dit et écrit « l’huis » et « l’huissier »), il est, par contre, aspiré dans « huis clos » (on dit et écrit « le huis clos ») !
2- Situé à l’embouchure du Tibre, à 35 km au sud-ouest de Rome, le port d’Ostie se trouve désormais à l’intérieur des terres, à cause de l’ensablement.
3- Le latin portus « port » est relié à la racine indo-européenne « per– » : aller de l’avant, pénétrer dans ».
chat échaudé craint l’eau froide
« JO d’hiver 2030 : pourquoi la France l’a emporté face à la Suisse et la Suède.
Le Comité international olympique (CIO) [n’a] retenu que la candidature des Alpes françaises en vue de l’organisation des JO d’hiver 2030. Pourquoi ce choix ? La réponse tient en un mot : sécurité. Ou, pour prendre une expression populaire bien connue, « chat échaudé craint l’eau froide ».
Chez les Suisses, la candidature devra passer à la moulinette des inévitables votations cantonales et, là, ça sent l’échec. En Suède, plane le même spectre de sanction populaire via un référendum.
[En France], pas de consultation citoyenne. Même si les opposants à ces Jeux réclament une référendum, ce n’est pour l’instant pas prévu. » (article)
Refroidi par les mauvaises expériences faites par le passé, le CIO a choisi pour les JO 2030 le candidat le moins susceptible de se désister au dernier moment par manque de soutien de sa population.
En effet, de nos jours, le proverbe « chat échaudé craint l’eau froide » signifie que les mésaventures servent de leçon, qu’elles rendent prudent, voire méfiant.
A l’origine, l’expression avait un sens plus spécifique : non seulement une expérience douloureuse engendre de la méfiance, mais elle fait même redouter ce qui n’a que l’apparence d’un danger similaire (l’eau, même froide, rappelle l’eau bouillante).
Le sens initial de la locution s’est un peu perdu car on ne connaît plus très bien – ou on préfère ignorer (1) – la pratique de l’échaudage qui consiste à plonger les animaux dans l’eau bouillante pour les dépouiller (c’est-à-dire leur enlever la peau ou les plumes. On comprend mieux pourquoi un rescapé de l’échaudoir se méfie de l’eau, même froide !
L’expression est attestée pour la première fois – et sous une forme embryonnaire – au XIIe siècle, dans le « Roman de Renart », sans référence à un animal particulier ni à la température de l’eau : « eschaudez iaue creint » (l’échaudé craint l’eau).
Devenue proverbiale, la locution se précise au cours des siècles
– avec l’ajout du mot « chat » au XIIIe siècle : « chat échaudé craint l’eau » (chat eschaudez iaue creint),
– puis de l’adjectif « froid » en 1584, fixant ainsi la phrase que nous connaissons aujourd’hui : « Chat échaudé craint l’eau froide ».
En allemand, l’expression « verbrents kind fürcht dess feuers glut » (l’enfant brûlé craint l’ardeur du feu) est citée comme « proverbe » par le dramaturge Jakob Ayrer (1544-1605), et sa forme actuelle « gebranntes Kind scheut das Feuer » n’est guère différente. (2)
Ce proverbe se retrouve dans d’autres langues et cultures, sous diverses formes, mais avec le même sens.
Cependant, la méfiance exprimée est plus excessive qu’en allemand. On ne craint pas seulement ce qui nous a fait souffrir, on redoute même ce qui pourrait y ressembler, de près ou de loin, même si ce n’est pas un danger : l’eau froide (qui rappelle l’eau bouillante) : la corde (qui fait penser au serpent) ; le yaourt (qui est assimilé à la bouillie fumante) ; la mer tranquille (qui évoque les flots déchaînés )…
- En latin, déjà, Ovide écrivait (dans les Pontiques) : « le naufragé tremble, même devant les flots tranquilles ».
On retrouve l’image du chat ébouillanté dans les langues romanes :
- en espagnol : « gato escaldado, del agua fría huye » ;
- en italien, sans référence au chat : « chi si è scottato con l’acqua calda ha paura anche di quella fredda ».
Dans d’autres langues, du grec au japonais, en passant par le turc ou l’albanais, c’est se brûler en mangeant qui rend méfiant :
- en grec moderne : « ópoios kaeí me to chyló fysá kai to yaoúrti »
- en turc : « qui s’est brûlé la bouche avec du lait bouillant souffle ensuite même sur le lait caillé / sur le yaourt » ;
- en albanais : « la vieille a été brûlée par la bouillie, elle souffle aussi sur le lait caillé » ;
- en japonais : « brûlé par le bouillon, il souffle même sur la salade de poisson cru ».
La brûlure du feu est remplacée dans d’autres proverbes par la morsure ou la piqûre d’un animal :
- en anglais : « once bitten, twice shy » ;
- en portugais : « cachorro mordido por cobra tem medo de linguiça » ;
- en kabyle : « celui qui a été piqué par un serpent craint même une ficelle » ;
- en chinois : « une fois mordu par un serpent, on craint les cordes pour toujours ».
Pour être au courant
1- L’échaudage : une technique toujours pratiquée de nos jours, mais loin de nos yeux, le plus souvent dans les abattoirs, alors que, jusqu’au XIXe siècle, elle était utilisée par les particuliers (échaudoir à volailles).
2- On retrouve le schéma « l’enfant brûlé craint le feu » dans les langues d’origine germanique :
- en allemand : « gebranntes Kind scheut das Feuer » ;
- en anglais : « a burnt child dreads the fire » ;
- en suédois : « bränt barn skyr elden ».
tête de Turc
« Les Chrétiens, nouvelles têtes de Turc d’Erdoğan ?
Le pourcentage de Chrétiens en Turquie est passé de près de 25% en 1914, à moins de 0,5% aujourd’hui. La communauté est présente sur le territoire depuis près de deux millénaires, mais [son] avenir dans le pays est incertain. (…) Aujourd’hui, les théories du complot sur les minorités non musulmanes dominent la sphère publique (…), les chrétiens sont dépeints comme des agents infiltrés de l’Occident pour saper l’identité turque. » (article)
Par un étonnant retournement de l’Histoire, les Occidentaux – et plus particulièrement les chrétiens – qui, pendant des siècles, ont considéré les Ottomans comme leurs « têtes de Turc », sont devenus à leur tour celles du régime d’Ankara.
Une « tête de Turc », au sens figuré du terme, c’est une personne en butte aux railleries, aux mauvais traitements, c’est le souffre-douleur sur lequel les autres s’acharnent, se défoulent.
L’expression « tête de Turc » vient d’une attraction de fête foraine apparue en France à la fin du XIXe siècle et conçue sur le modèle du dynamomètre (1) : le participant frappait de toutes ses forces, avec le poing ou un maillet, sur une tête coiffée d’un turban et rappelant l’image stéréotypée d’un Turc. (illustration)
Son équivalent en allemand, le Watschenmann (« l’homme à claques »), une figurine grandeur nature avec une grosse tête en cuir, fait son apparition dans le parc d’attractions du Prater de Vienne en 1890. La force de la gifle qui lui est administrée est indiquée sur une échelle graduée, placée au-dessus de sa tête. (2)
En 1890, Maxime Du Camp écrit : « Un jour, dans je ne sais plus quel jardin public, [Théophile Gautier] donna sur la « tête de Turc » un coup de poing qui marqua cinq cent vingt livres au dynamomètre. Bien souvent je l’ai entendu s’en vanter et dire :
« C’est l’action de ma vie dont je suis le plus glorieux. »
Asséner un coup à la « tête de Turc » ou administrer une gifle au Watschenmann, c’est faire preuve de virilité, et se montrer plus fort que le Turc qui, par définition, est déjà très fort !
L’expression « fort comme un Turc » est attestée à partir du XVIe siècle. A cette époque, l’Empire ottoman connaît son apogée après la prise de Constantinople (capitale de l’Empire byzantin) par le sultan Mehmet II, le Conquérant, en 1453.
Dans l’imaginaire collectif occidental, le Turc possède alors une image ambivalente : il est perçu à la fois comme un adversaire redoutable et sanguinaire, et un personnage exotique et fascinant.
Lorsque, vaincu à Pavie (en 1525) par les troupes de Charles Quint, François 1er décide de s’allier au sultan Soliman le Magnifique, il est considéré par le pape et les autres puissances européennes comme « le très chrétien bourreau de la Chrétienté ».
On raconte que, ayant revêtu une armure offerte en 1536 par Soliman pour sceller leur alliance, le roi de France aurait déclaré : « Me voici désormais fort comme un Turc ».
C’est de là que viendrait l’expression, encore utilisée aujourd’hui.
A la fin du XVIIe siècle, le rapport de forces a changé : le 12 septembre 1683, les Turcs doivent lever le siège de Vienne, après deux mois d’encerclement de la capitale autrichienne.
Vienne est libérée, in extremis, par une armée de 65 000 hommes commandée par Jean III Sobieski, roi de Pologne, et par le duc Charles de Lorraine.
Les victoires du prince Eugène de Savoie et la paix de Karlowitz (1699) mettent fin aux menaces ottomanes en Europe occidentale.
Et l’image du Turc change dans les esprits : ce n’est plus un adversaire redouté et imbattable. A la cour de Vienne, les « mascarades turques » sont à la mode, et on organise des tournois chevaleresques : les participants s’affrontent dans des joutes appelées « Türkenkopfrennen » (3) ou « Türkenkopfstechen », c’est-à-dire « course à la tête de Turc » en français.
Monté sur un cheval lancé au galop, le cavalier doit transpercer une tête de Turc en bois ou en papier mâché avec sa lance, ou bien la faire passer à travers des anneaux suspendus : c’est le Ringrennen, appelé en français « jeu de bagues ».
Ces simulacres de combat sont alors une sorte de victoire par procuration contre l’ennemi, autrefois si puissant mais qui ne constitue plus une menace réelle. (4)
C’est dans cet esprit que, en 1743, Marie-Thérèse de Habsbourg organise un « carrousel de dames » dans le manège d’hiver de l’Ecole d’équitation de la Hofburg afin de célébrer une victoire qu’elle vient de remporter dans la Guerre de Succession d’Autriche, dans laquelle elle doit défendre ses droits à l’héritage de son père Charles VI.
Elle y participe à cheval et fait preuve d’une grande habileté.
Un tournoi anachronique – Lors du Congrès de Vienne en 1814, un « Carrousel impérial » est également organisé pour divertir les ambassadeurs étrangers et les dignitaires de l’empire autrichien. (5)
« Cette fête devait être comme une évocation des brillants et poétiques souvenirs du temps passé », commente le Comte de la Garde-Chambonas, un émigré français alors présent à Vienne. Cette fête grandiose devait à la fois rappeler « le bon vieux temps » d’avant la Révolution, mais aussi et surtout « éclipser » les fêtes organisées par le Roi-Soleil plus de 150 ans auparavant (« Souvenirs du Congrès de Vienne – 1814-1815 »).
Pour être au courant
1- le dynamomètre est un appareil utilisé en physique pour mesurer l’intensité des forces. Son radical « dynamo » (du grec ancien « dúnamis ») signifie force, puissance.
2- Le prédécesseur du Watschenmann viennois était une figure en tissu, représentant un Turc. Le Watschenmann a duré jusqu’aux années 1970. Un exemplaire est aujourd’hui exposé au musée du Prater.
3- La « course à la tête de Turc » découle de la pratique cruelle, courante aussi bien chez les Ottamans que chez les Européens, qui consistait à utiliser la tête de l’ennemi comme trophée et preuve de victoire.
4- A la cour du Roi-Soleil – Depuis la mort tragique d’Henri II en 1559, les tournois sont interdits en France. Ils sont remplacés par les carrousels où les affrontements sont des simulacres de combat. Le Grand Carrousel de 1662, donné par Louis XIV à l’occasion de la naissance du dauphin, a lieu dans la cour du palais des Tuileries, devant 10 000 à 15 000 personnes installées sur les gradins provisoires. La reine-mère Anne d’Autriche, la reine Marie-Thérèse et les dames de la cour siègent sur une tribune monumentale. Les cavaliers s’affrontent lors de courses de bagues et de têtes.
Le spectacle est si grandiose que la place prendra le nom de Place du Carrousel. En 1806, Napoléon Ier y fera édifier un Arc de Triomphe. (lien)
5- Le Carrousel du Congrès de Vienne en 1814 – (lien)
« Les cavaliers avaient commencé par s’exercer dans un jeu « historique », déjà pratiqué du temps de Marie-Thérèse : le jeu des bagues, sorte de tournoi où il s’agissait de retirer des anneaux ou de fausses « têtes de turcs » fichées sur des piliers du manège à l’aide d’une lance. D’autres jeux d’adresse, des simulations de combats à l’épée ou de charge de cavalerie avaient suivi et, n’était-ce la chute du prince de Lichtenstein, resté inconscient, la soirée s’était conclue gaiement par un bal masqué. »
la carotte et le bâton
Face à l’offensive douanière américaine, l’UE opte pour la « stratégie de la carotte et du bâton »
Bruxelles a dévoilé sa première salve de mesures de rétorsion contre la hausse des droits de douane américains sur l’acier et l’aluminium. Pour la presse internationale, il s’agit d’une réponse mesurée, qui laisse la porte ouverte aux négociations avec l’administration Trump. (article)
Manier la carotte et le bâton, c’est employer tour à tour l’incitation ou la menace pour parvenir à ses fins.
Cette méthode est connue pour faire avancer les ânes – animaux réputés têtus – grâce à une alternance de coups de bâton et de récompenses.
Cette expression – traduction littérale de l’anglais « the carrot or the stick » – est récente en français (1966).
Les premières attestations de la locution en langue anglaise datent, elles, du milieu du XIXe siècle et se réfèrent à une caricature de l’époque montrant une course d’ânes :
le jockey perdant fouette sa monture avec des brindilles épineuses de prunellier, tandis que le vainqueur de la course s’est contenté d’attacher une carotte au bout d’un bâton et de la faire pendre devant le nez – mais hors de portée – de son âne.
Cette stratégie incitative réapparaît, sous une forme métaphorique, dans une caricature anti-guerre intitulée « Europe 1916 » et représentant la Mort chevauchant un âne émacié et l’entraînant vers un précipice avec une carotte pendue au bout d’un bâton et étiquetée « Victoire » (illustration).
L’image est reprise par Winston Churchill, dans une lettre datée du 6 juillet 1938, moins de 4 mois après l’Anschluss :
« Ainsi, par tous les moyens, du bâton à la carotte, l’âne autrichien émacié est amené à tirer la brouette nazie sur une colline toujours plus abrupte. (1)
L’équivalent allemand « Zuckerbrot und Peitsche » (pain de sucre et fouet) est souvent évoqué en rapport avec la politique du chancelier Bismarck à la fin du XIXe siècle.
– Le « bâton » / « fouet », ce sont les « lois socialistes » (en vigueur de 1878 à 1890) qui interdisent toutes les organisations socialistes et donc les syndicats.
– La « carotte » / le « pain de sucre », ce sont les lois sociales bismarckiennes qui offrent aux ouvriers allemands un certain nombre de protections nouvelles – et jusque là inédites en Europe : assurance retraite, assurance maladie, assurance contre les accidents de travail.
Ainsi, Bismarck « manie la carotte et le bâton » en menant d’un côté une politique de répression à l’égard des socialistes, et une stratégie de pacification de la classe ouvrière de l’autre.
Il n’en demeure pas moins que les ouvriers de la fin du XIXe siècle sont exploités : c’est un nouvel esclavage, au service de la révolution industrielle.
En effet, l’expression « Zuckerbrot und Peitsche » ne date pas de l’époque bismarckienne mais remonte au temps de la colonisation du Brésil. Le « Pain de Sucre » qui domine la baie de Rio de Janeiro est l’un des emblèmes de ce pays où les Portugais ont, dès le XVIe siècle, créé des plantations de canne à sucre. Les esclaves noirs qui y travaillaient recevaient tour à tour des coups de fouet ou étaient récompensés d’un pain de sucre (sucre brut, non raffiné).
En 1776, un missionnaire jésuite portugais écrit, jouant sur la paronymie (2) de « pão » et « pao » : « dando-lhes com ua mão o pão, e com a outra o pao » (on leur donne d’une main le pain (de sucre), de l’autre le coup de bâton ou de fouet).
Pour être au courant
1- Dans sa lettre de juillet 1938, Winston Churchill se réfère à la caricature « Europe 1916 » évoquée ci-dessus : « Thus, by every device from the stick to the carrot, the emaciated Austrian donkey is made to pull the Nazi barrow up an ever-steepening hill. »
2- Les paronymes sont des mots presque homophones ou homographes et qui, de ce fait, sont souvent confondus.
Exemples : accident et incident, éminent et imminent, conjoncture et conjecture, éruption et irruption…
le poney, le poulain et la poule…
« Der Micro-Pony erobert den Frühling 2025 »
Ce titre risque de désorienter le lecteur francophone et de l’emmener sur une fausse piste : en effet, ce micro-poney qui pourrait bien faire fureur ce printemps n’est pas un cheval miniature mais une frange ultra-courte.
Si on utilise en allemand le terme de « Pony » (1) pour désigner cette « masse de cheveux rabattus sur le front et coupés au niveau des sourcils » (définition du CNRTL), appelée aussi « Stirnfranse(n) » en allemand, c’est qu’elle rappelle la crinière de ces races de petits chevaux.
Cet emploi est d’autant plus étonnant que les anglophones, eux, emploient le mot « pony » pour désigner, non pas la frange, mais la queue de cheval (2).
Le poney appartient à la même sous-espèce que le cheval domestique, c’est un cheval nain.
Le terme est attesté en français depuis le XIXe siècle et vient de l’anglais « pony » qui, à son tour, dérive de l’ancien français par l’intermédiaire du scots.
Si on remonte plus haut dans les origines du mot « poney », on retrouve le latin « pullus » qui désigne le petit d’un animal en général (3) :
pullus → pullanus (diminutif) → poulenet (ancien français) → pouleney, prononcé « pulnei » en scots → « punei » puis « powny » en anglais → en 1801, « pooni » est attesté en français, mais signalé comme « anglicisme ».
Sont considérés comme des poneys les chevaux ne dépassant pas 148 cm au garrot. Les plus grands d’entre eux sont appelés double-poneys (4) en français, Doppelpony en allemand, et Cob en anglais. Ils sont capables de porter des adultes.
Une des races les plus connues de ces grands poneys est le Haflinger : trapu et robuste, ce petit cheval rustique est issu des montagnes tyroliennes. C’est un animal peu exigeant.
Il sert à la fois de cheval de selle et de trait : il peut aussi bien être monté qu’être attelé. Autrefois, il était aussi utilisé comme bête de somme et participait à la transhumance des troupeaux.
Le Haflinger est surnommé « le poney d’or et d’argent » en raison de la couleur dorée, ambrée, de sa robe et de la couleur blanc argenté de ses crins (illustration).
Si vous souhaitez faire un « Pony » à votre poney – Haflinger ou pas -, n’utilisez pas la méthode employée dans cette vidéo : le résultat est plutôt moche. L’animal a l’air tout honteux !
Pour être au courant
1- orthographe et prononciation : en français, le mot s’écrit avec un « –ey » final et se prononce « po-nè » [ pɔnε ], tandis qu’en allemand, il s’écrit « Pony » et se prononce « po-ni ».
Mêmes orthographe et prononciation pour la finale des mots « hockey », « volley » et « jockey », « trolley », « Mickey » et « Disney », « Ashley » et « Audrey », « Jersey » et « Guernesey », « Sidney »…
2- En anglais britannique, la frange est désignée par le mot « fringe » (dérivé de l’ancien français « frenge »), tandis qu’en anglais américain elle s’appelle « bangs ».
3- le latin « pullus » a une riche descendance : il a donné la poule, le poussin, le poulain et la pouliche, mais aussi Polichinelle, poltron, pulluler …
4- le « double-pony », un cheval multi-usages : c’est la raison pour laquelle, autrefois, les chevaux de cette catégorie étaient aussi appelés « cheval à deux fins » (« fin » au sens de « usage, utilisation » = Zweck, Anwendung).
5- Le nom « Haflinger » provient du village tyrolien de Hafling (Avelengo en italien), aujourd’hui situé dans la région du Trentin-Haut-Adige italien, appelée Südtirol par les Autrichiens.
scoop ou fake news ?
« Mercredi 2 avril, le média Politico a jeté un pavé dans la mare en indiquant qu’Elon Musk pourrait quitter prochainement ses fonctions au sein du gouvernement américain.
« Ce ’scoop’ (1) ne vaut rien », réplique la porte-parole de la Maison-Blanche qui affirme qu’Elon Musk quittera sa fonction lorsqu’il aura fini sa mission.
Elon Musk n’a pas tardé à s’exprimer. Dans un message publié sur la plateforme X, il a qualifié l’information de « fake news » (2). (article)
Le scoop / der Scoop, c’est une information importante donnée par la presse écrite ou orale, en primeur et en exclusivité et, par extension, une nouvelle sensationnelle.
Le terme est attesté en anglais américain dès 1874 dans le domaine du journalisme au sens de « obtention et publication d’informations exclusives avant un concurrent ».
En français, « scoop » n’apparaît qu’à la fin des années 1950.
Il vient du moyen anglais « scōpen » (« vider, puiser avec une cuillère »), lui-même dérivé de l’ancien bas-francique « skôpa« qui est, à son tour, à l’origine
– de l’allemand moderne « schöpfen » (puiser) et de « Schöpfer » (la louche),
– du moyen néerlandais « schope » (seau pour écoper l’eau),
– mais aussi du français « écoper », c’est-à-dire vider l’eau qui s’accumule dans un lieu (par exemple dans une embarcation qui « prend l’eau » à l’aide d’un récipient quelconque ou – plus particulièrement – d’une écope.
Mais quel est le rapport sémantique entre une écope et un scoop ?
– Au milieu du XVIIIe siècle, l’anglais « scoop » en vient à désigner non seulement cette sorte de pelle, mais aussi la quantité qu’elle contient.
– A la fin du XIXe siècle, il désigne « une grande prise » faite par exemple dans une nasse, un filet à poissons.
– Le glissement de sens se fait alors tout naturellement, de la « bonne prise » à la « découverte et à la publication d’une information ou d’une photo sensationnelle et exclusive ».
Pour être au courant
1- L’Académie française recommande de remplacer l’anglicisme « scoop » par « des locutions contenant les mots primeur ou exclusivité ». Ainsi, on ne dit pas « avoir un scoop » et « publier un scoop », mais « avoir la primeur d’une information » et « publier une information en exclusivité ». Reconnaissons cependant que ces formules à rallonge sont moins percutantes que le « scoop ».
En allemand, der Scoop a pour synonyme Exklusivbericht, Exklusivmeldung, Sensationsmeldung.
2- La Commission d’enrichissement de la langue française recommande d’utiliser le néologisme « infox » pour remplacer « fake news ». Ce mot-valise est forgé à partir des termes « information » et « intoxication ».
La commission propose aussi d’autres traductions comme « information fallacieuse » ou « fausse nouvelle ».
« Infox » a été préféré à d’autres suggestions recueillies dans la « boîte à idées » de FranceTerme, comme « infaux », « infausse » ou – un mot déjà existant – « craque ».
Woher kommt das Wort « Klobrille »?
Savez-vous pourquoi le siège des toilettes s’appelle « Klobrille » en allemand ? Le mot a bel et bien un rapport avec les lunettes.
Rappelons d’abord que, jusqu’au XVIe siècle, cet instrument d’optique binoculaire à monture et à deux branches que nous « chaussons » aujourd’hui ne s’appelait pas « lunettes », mais « besicles » (et « bésicles » depuis la dernière grande réforme orthographique).
Ce terme rappelle les débuts de l’histoire de l’optique : dans l’Antiquité et au haut Moyen-âge, on connaissait déjà l’usage de la « pierre de lune », une loupe grossissante qu’on posait directement sur le texte écrit. Avant d’être confectionnée en verre à partir du IXe siècle, elle était taillée dans une pierre semi-précieuse, le béryl, (« beril » en ancien français) ou en cristal de roche. « Beril » a donné « bericle » puis « besicle » par assibilation (1).
Alors que le mot bésicles est aujourd’hui vieilli ou utilisé seulement de façon ironique, le terme Brille – lui aussi directement dérivé de Beryll – désigne toujours les lunettes en allemand moderne, mais s’utilise au singulier.
Le mot « lunette » est bien le diminutif de lune mais, à l’origine, il ne désigne pas un instrument d’optique : ni les lunettes (Brille), ni la lunette (Fernrohr). Attesté dès le XIIe siècle en français, il définit un objet de forme ronde, par exemple le cercle de métal entourant une plaque brillante (d’abord en métal puis en verre) qui sert de miroir.
C’est par analogie de forme que « lunette » désigne ensuite l’ouverture ronde de la chaise percée, puis le siège – parfois relevable – des « cabinets d’aisances » d’autrefois, tout comme celui des WC modernes (2). Le terme Klobrille est un calque du français « lunette », adopté au XVIIe siècle.
Selon une autre explication (plus controversée), le siège du WC s’appelle ainsi, parce que, en argot, « lune » ou « pleine lune » est synonyme de postérieur, derrière, fesses.
A propos de lunettes… : « Mit dem Glück geht es wie mit der Brille: / Man hat sie auf der Nase und weiß es nicht. » Cet aphorisme allemand a été adopté et adapté par l’écrivain André Maurois (1885-1967) : « Le plus souvent, on cherche le bonheur comme on cherche ses lunettes, quand on les a sur le nez. »
A l’inverse, il arrive que – par une sorte de réflexe – on essaie d’enlever ses lunettes… alors qu’on n’en porte pas ! (Vidéo : le sénateur américain Orrin Hatch enlève ses lunettes invisibles…) Cela se produit parfois quand on est « dans la lune », c’est-à-dire distrait.
L’influence – supposée – de la lune sur l’humeur des humains a laissé des traces dans le lexique, en français comme en allemand : l’humeur = die Laune ; être d’humeur changeante = launisch sein ; être lunatique = launenhaft sein ; être bien ou mal luné/e = gut oder schlecht gelaunt sein.
Pour être au courant
1- transformation de « bericle » en « besicle » par assibilation (Assibilierung oder Zetazismus) : la consonne occlusive, en l’occurrence le [r], s’est transformée en sifflante [z]. « Assibilation » vient du verbe latin « sibilare » (siffler).
2 – Dans un domaine tout à fait différent, et à partir du début du XXe siècle, la lunette correspond à la vitre arrière d’une voiture : en effet, sur de nombreux anciens modèles de véhicules, cette vitre était nettement plus petite qu’aujourd’hui et possédait une forme arrondie – ou parfois ovale -, d’où son nom. En 150 ans, sa forme a bien changé, mais le nom est resté.
les dents du bonheur
Le 20 mars, c’est la Journée internationale du bonheur. C’est en général (1) aussi l’équinoxe et le début du printemps.
A propos de bonheur, savez-vous d’où vient l’expression « avoir les dents du bonheur » et ce qu’elle a à voir avec Napoléon 1er ?
Le terme scientifique utilisé en odontologie (2) pour désigner « les dents du bonheur » est le diastème. Il vient du grec diastêma, qui signifie intervalle, et désigne un écartement – plus ou moins grand – entre deux dents normalement adjacentes, en particulier les deux incisives supérieures.
De nombreuses personnalités ont un diastème : c’est le cas d’Emmanuel Macron, Arnold Schwarzenegger, Elton John, Vanessa Paradis ou Madonna. (3)
Et Napoléon ? Eh bien, non ! L’empereur avait une dentition « normale » et pas « les dents du bonheur ». Pourtant, il existe un rapport entre Napoléon et cet écartement des dents.
A l’époque des guerres napoléoniennes (donc au début du XIXe siècle), le diastème était une cause de réforme. Lorsqu’ils rechargeaient leur fusil, les soldats devaient le tenir à deux mains et, en même temps, déchirer les sacs de papier qui contenaient la poudre pour les cartouches … avec les dents.
Ceux qui avaient les dents écartées étaient réformés, car inaptes à cette tâche. Quel bonheur pour ceux qui pouvaient échapper à la conscription… et aux horreurs de la guerre !
En allemand, l’expression « dents du bonheur » se traduit par « Schneidezahnlücke » ou, en termes médicaux, par « Trema » (du grec trēma = Loch) et « Diastema mediale » : dans ce cas, il s’agit plus spécifiquement de l’écartement entre les incisives (diastème interincisif), le plus souvent de la mâchoire supérieure.
Je n’ai pas trouvé d’expression figurée – aussi expressive que « dents du bonheur » – qui en serait l’équivalent.
Pour être au courant
1- La date de l’équinoxe de printemps varie entre le 19 et le 21 mars. Cela est dû au fait que la Terre met 365,26 jours pour tourner autour du soleil. Depuis 2008, l’équinoxe a lieu le 20 mars, et ce sera la règle jusqu’en 2043. (lien)
2- Définition de l’odontologie (mot formé de « odóntos » (dent) et « logía » (science) : discipline consacrée à l’étude des dents, de leur pathologie, de la thérapeutique appropriée; mise en œuvre de celle-ci. Un odontologue est un dentiste spécialisé (en orthodontie, endodontie, parodontie, chirurgie buccale, odontopédiatrie, esthétique dentaire…)
3- Cette caractéristique était également présente chez Ötzi – appelé aussi der Mann vom Hauslabjoch ou l’homme de Similaun – qui a été retrouvé momifié dans un glacier à la frontière franco-italienne en 1991, et dont l’âge est estimé à 5250 ans.
4- Eine Zahnlücke steht für Glück – Alors qu’en Europe le diastème est le plus souvent considéré comme un problème d’orthodontie, un écartement de 2 à 4 millimètres entre les incisives supérieures est vu en Afrique noire occidentale comme esthétique, séduisant, et comme une promesse de bonheur et de prospérité. (article)
le fauteuil : de Dagobert à Louis XVIII
Le tribunal administratif de Nantes a débouté une aide-soignante qui voulait faire annuler sa révocation professionnelle. Elle avait été filmée, dans un EHPAD à Pleuven (Finistère).
« Cette vidéo (…) montre une collègue de Mme XXX pousser à vive allure un fauteuil roulant dans lequel la requérante se trouve assise avec une résidente de l’EHPAD installée sur ses genoux, qui manifeste sa peur et sa désapprobation », précise le tribunal administratif de Nantes dans son jugement du 7 mars 2025. (article)
Le fauteuil, défini aujourd’hui aujourd’hui comme un siège confortable pour une personne, généralement doté d’un dossier et de « bras » ou « accotoirs » (1) était à l’origine un siège pliant.
Le mot vient en effet du vieux francique faldistôl (littéralement « siège pliant ») qui a donné « Faltstuhl » (de falten plier + Stuhl : siège) en allemand moderne.
Au fil des siècles, « faldistôl » s’est transformé en faldestoed (XIIe siècle) puis faudestueil (XIIIe siècle) et, finalement, fauteuil (1589).
Le mot a, à son tour, été réemprunté par l’allemand au XVIIIe siècle avec son orthographe et sa prononciation (presque) française « Fauteuil » ([foˈtœj] écouter).
L’exemplaire le plus connu du faldistôl du haut Moyen-âge est le trône en bronze dit du « bon roi Dagobert » (illustration). Ce fauteuil de bronze doré, qui est parfois attribué à saint Éloi, orfèvre – et conseiller – du roi de Dagobert, a la même forme que les chaises curules (illustration) des magistrats romains dans l’antiquité.
Comme ces sièges antiques, le « faldistôl » était pliant et son assise était formée de sangles de cuir.
Étant donné que les nobles et les souverains voyageaient beaucoup au Moyen-âge et qu’ils emportaient avec eux leur mobilier d’une demeure à l’autre, la plupart des meubles étaient pliants ou démontables (par ex. les tables étaient composées d’une planche posée sur des tréteaux afin de faciliter leur transport.)
Aucune source fiable ne prouve l’authenticité de ce fauteuil. (3) Cependant il a été utilisé par Napoléon Ier pour distribuer les premières Légions d’honneur en 1804. Selon la légende, l’empereur aurait cassé ce siège vétuste et fragile en s’asseyant dessus.
Son successeur sur le trône, le roi Bourbon Louis XVIII, s’est surnommé lui-même, par autodérision, « le roi fauteuil ».
Lorsqu’il monte sur le trône, à 59 ans, il se déplace déjà difficilement. D’une part, il souffre d’une malformation congénitale des hanches ; d’autre part, à cause de son appétit pantagruélique, il est atteint d’obésité et souffre de la goutte, d’ulcères et de varices.
Il est en outre mal conseillé : son chirurgien, qui est en réalité un ancien moine défroqué, lui-même gros mangeur et gros buveur, est un charlatan.
Très rapidement, le roi ne peut plus marcher et circule assis dans un large fauteuil capitonné de cuir vert, monté sur trois roues (et donc plus facile à manipuler).
Le premier fauteuil roulant autopropulsé de l’histoire a été inventé 160 ans plus tôt : en 1655, Stephen Farfler, un horloger allemand, paraplégique depuis son enfance, a construit un fauteuil fixé sur un châssis à trois roues et qui avançait à l’aide d’une manivelle.
Louis XVIII, lui, n’avait pas besoin d’actionner une manivelle pour faire avancer son fauteuil : il se laissait pousser par un domestique.
Le fauteuil roulant équipé d’un moteur apparaît en 1916 : les mutilés de la Grande Guerre (1914-18) en sont les premiers bénéficiaires.
Pour être au courant
1- On confond souvent les accoudoirs avec les accotoirs.
– Quand on est assis dans un fauteuil, on appuie ses avant-bras, de chaque côté, sur les accotoirs.
– Un accoudoir, par contre, est destiné s’appuyer les coudes (ou plus exactement les avant-bras) vers l’avant lorsqu’on est debout ou agenouillé, par ex. sur un prie-Dieu (illustration).
2- Dagobert 1er : arrière-arrière-petit-fils de Clovis, ce souverain mérovingien a régné sur le royaume des Francs de 629 à 639. Il est connu comme l’un des « rois fainéants » (littéralement Nichtstuer) et a été ridiculisé dans la chanson « Le bon roi Dagobert » où il se fait constamment rappeler à l’ordre par son conseiller saint Eloi, évêque de Noyon.
Cette chanson est largement postérieure à l’époque mérovingienne, puisqu’elle a été écrite vers 1787 pour se moquer de Louis XVI (la comptine du « Bon roi Dagobert »).
3- Le « trône de Dagobert » est conservé à la Bibliothèque nationale de France, au département des Monnaies, Médailles et Antiques.